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Obri(gado) bravo XXVII


Épisode XXVII : António Raúl Brito Paes (Pinto Barreiros ligne Cabral Ascensão / Oliveira Irmãos) – Herdade Ameijoada, Cercal do Alentejo.


L’un des fils d’António Raúl Brito Paes faisait tourner une haridelle musculeuse dans un manège de sable. L’air était léger, la nuit venait à pas lents, la douceur des soirées de ce début de mois de mai lui tenait la main. Les discussions allaient bon train dans un improbable pot au feu de portugais, d’espagnol et de français mais tout le monde se comprenait à cette heure où le tinto et le choriço s’érigeaient en guides suprêmes de la pensée et de la bonne humeur. Sur le perron, madame Brito Paes ne cachait pas ses frissons d’émotion face à la flambée récente de Notre-Dame-de-Paris. Un désastre ! L’expression ponctuait ses phrases et l’évocation des souvenirs de ses passages à Paris. J’étais si loin de Notre-Dame. Non que les flammes n’aient pas remué un tantinet ma sensibilité mais mes raisons n’étaient pas les siennes et je me sentais plus touché par d’autres drames que par Notre-Dame. Je défendais une vision, disons patrimoniale et relativiste, quand je percevais bien que cette chrétienne pratiquante, convaincue, sincère, venait de perdre une part de son monde et d’elle-même. À l’intérieur, ça causait toros, piques, tientas, ganaderías. Je n’en captais que bribes, me nourrissais de miettes mais l’air était léger et mon interlocutrice fort urbaine ma foi. Des tours de Notre-Dame nous descendîmes sans nous presser, au fil des mots qui ne craignent pas le feu, vers l’histoire « récente » du Portugal, vers Salazar, les Oeillets et la reconstruction. Là non plus ses raisons n’étaient pas les miennes qui ne sont qu’idéologiques voire politiques alors je la laissai parler parce qu’elle, elle avait vécu tout cela, elle proposait son témoignage et je n’avais aucune légitimité à le mettre à l’épreuve de mes propres certitudes. Salazar avait fait beaucoup pour le Portugal. C’est ce qu’elle disait. Elle disait qu’il avait mis en place un système « social » pour les hôpitaux, elle disait ça aussi pour les écoles, elle disait qu’après lui le pays n’avait été que décadence, elle disait en somme que l’époque n’était plus la sienne. Mais l’air était léger et le vin me grisait. Elle disait, j’écoutais. Je ne me posais pas la question de savoir quoi lui rétorquer, j’écoutais, point. Elle disait, j’écoutais. Sans lui tirer le portrait à aucun moment, je me sentais photographe à cet instant alors même que jamais je n’aurais eu l’idée de me considérer comme tel malgré un nombre conséquent de clichés pris ces dernières années. Je l’écoutais avec le sentiment que je gravais sa parole dans ma mémoire, que je figeais quelque part en moi ce témoignage comme on peut fixer sur papier baryté l’instant décisif. Je ne sais pas si l’analogie est pertinente mais je la vivais ainsi sur ce perron de la herdade Ameijoada. J’étais photographe à l’écouter ainsi, inclus dans la scène mais extérieur à elle. Tout ça à la fois, oui. J’étais en train de saisir peut-être la photographie la plus intéressante du voyage. Comme les photographes que j’admirais, je me taisais et je pensais en la regardant dans les yeux que les meilleurs photographes sont ceux dont on perçoit qu’ils se sont tus. Et puis l’air était léger et ça compte à l’heure de convoquer les sensations sur le papier blanc.

À 21h30 il était temps de saluer, de plier les gaules, de se promettre de se revoir, comme à chaque fois et comme à chaque fois c’était sincère. Joaquim et Joaquim nous firent l’ultime courtoisie de nous raccompagner jusqu’à la bonne route — nous partions vers le nord — une fois accompli un « léger » détour par la herdade Monte Velho — donc plein sud — pour y récupérer un sac photo oublié là, des heures auparavant, par un Béarnais qui n’avait pas oublié, par contre, de jouer le boulet à grands renforts de « oh putain je suis un boulet » — nous confirmions sans le dire —, de « bon ben désolé les gars » — c’est pas grave mon poulet on arrivera à Vila Franca de Xira en juillet —, « de putain suis trop con quand même » — aussi. Personne ne lui fit le reproche dans ce groupe commandé par la bonne éducation et le raffinement mais tout le monde le pensait : oublier un étui à lunettes, un pull, un smartphone peut s’imaginer sans peine, mais laisser sur une table vide un putain de sac photo grand comme une besace de randonnée pour traverser les Pyrénées au mois d’août en solitaire, il convenait de reconnaître que le coup relevait de la Champion’s league au sujet de laquelle, d’ailleurs, un débat nous animait pour savoir si Liverpool serait champion ou non comme l’autre Béarnais du groupe en faisait l’oracle à notre étonnement le plus complet. Avouons qu’il était le seul un rien habilité — être supporter de l’OM peut-il être considéré comme une habilitation à causer de football ? — à proférer ce genre d’inepties tant le reste de la troupe avait du foot européen une connaissance aussi poussée qu’en ce qui concernait la migration des poulpes en milieu montagnard au XVIII° siècle. Vila Franca de Xira nous accueillit en nous enjoignant de ne pas faire de bruit, la nuit était bien entamée, les hommes et femmes de bonne volonté se lèveraient dans quelques heures.

à suivre…

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