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Obri(gado) bravo XXIX


Épisode XXIX : Silva Herculano (Pinto Barreiros ligne Cabral Ascensão et Parladé) – Herdade dos Valhascos, Amareleja.


Le premier matin du premier jour donc. Amareleja est un bourg bien modeste qui s’éveille, comme nombre de petits villages portugais, étreint par le bleu intense d’un ciel sans contraste. Le bar sur la placette est la première échoppe à ouvrir. Avant que de tourner la clé dans la serrure et de faire monter le rideau roulant, à sa porte attend un petit vieux qui ne paraît même pas étonné de voir débarquer quatre étrangers. On le dirait posé là de toute éternité comme un élément du décor, comme un pot de fleurs que l’on arrose quand on y pense ou comme certaines photographies ou affiches accrochées au mur dans le bar et qui témoignent d’un passé parfois bien ridé mais vis-à-vis duquel on ne sentirait honteux, coupable, d’accomplir un quelconque geste criminel. De grandes affiches annoncent les touradas à venir dans la rue. La temporada a commencé depuis quelques semaines, le manège a repris. Les affiches de touradas, du moins celles de ces dernières années, sont reconnaissables entre toutes. On est loin de certains accouchements esthétisants subis ça et là depuis quelques lustres en Espagne ou en France — l’affiche de la Feria d’Arles 2020 est à cet égard à la limite du cas d’école pour ne pas écrire du cas d’éole avec ce torero rose en lévitation au-dessus de l’amphithéâtre romain. Bientôt on représentera Enrique Ponce en flagrant délit de moonwalk ou un Talavante « philosophe » errant dans les rues de Niou York. L’affiche portugaise, elle, n’y va pas par quatre chemins pour te faire de l’oeil. Elle t’envoie le toro dans ta gueule sur un modèle qui fait florès dans toute la Lusitanie taurine. On pourra toujours lui reprocher de douteuses digressions fluorescentes, d’autres fois un déficit artistique et ça ne sera pas faux mais l’affiche de tourada te colle le toro sous le nez, l’impose dans la totalité de ton champ de vision à tel point que tu sens presque son musc racé, que tu entends son souffle couillu ; à tel point que l’espace d’un instant tu te dis que putain ces forcados sont décidément branques. 

Henrique Herculano ne nous a pas dit s’il avait été forcado. Ça serait possible, d’autres éleveurs, et parmi les plus célèbres, le furent durant leur jeunesse. Forcado ou pas, il prend le toro par les cornes à sa manière en maintenant vivante l’histoire ganadera d’une famille qui est arrivée récemment sur la scène taurine portugaise. Récemment c’est relatif, c’était au milieu des années 1980 tout de même, au milieu pile, en 1985. Mais l’histoire de la ganadería de Silva Herculano est particulière car si l’élevage n’a pas connu les soubresauts de la Révolution des oeillets et de la Réforme agraire qui ont obligé tant de ganadarias à renaître dans les années 1980, elle a, elle aussi, eu droit à sa petite résurrection une dizaine d’années à peine après sa création. Ainsi, c’est en 1985 que Henrique (grand-père de l’actuel ganadero) et Jaime (père de l’actuel ganadero donc fils du premier Henrique) Herculano fondent leur élevage de bravos en rachetant celui de doña Maria do Rosário Infante da Câmara Albergaria. Après diverses recherches plutôt infructueuses, avouons-le, cette Maria do Rosário, a priori Infante da Câmara par sa mère, faisait partie de la grande famille des Infante da Câmara installée dans les célèbres herdades de Vale Figueira et Alpompé à côté de Santarém. Elle était certainement une cousine des héritiers de José Infante da Câmara et, elle aussi, élevait des toros de combat. D’ailleurs, si l’on en croit la notice présente dans l’encyclopédie de Morais, il s’agissait d’une ganadería « ribatejana com divisa azur e branco e procedência de José da Siva Lico, Marquês de Rio Maior e Manuel César Rodrigues ». À cet endroit de notre récit, deux solutions s’offrent à nous : dérouler la bobine de chacun de ces trois élevages pour découvrir que José da Silva Lico fonda son cheptel en 1954 avec essentiellement des Oliveira Irmãos (Pinto Barreiros), que la ganadería de Manuel César Rodrigues remonte à 1945 et qu’elle fut érigée avec des vaches et des sementales de Durão (Pinto Barreiros/Gamero Cívico/Soler) et que celle du Marquês Rio Maior était dans la même veine que celle de Rodrigues puisque ce très vieux fer avait modifié intégralement son sang en 1950 grâce à soixante vaches et vingt cinq utreras de Gamero Cívico et Soler couvertes par un Pinto Barreiros de chez António Silva ou — il faut suivre — s’en remettre à l’esprit de synthèse de votre serviteur et du ganadero : l’élevage de Maria do Rosário Infante da Câmara Albergaria était majoritairement du Parladé dont les fondations étaient Gamero Cívico et sur lesquelles furent érigés des murs Pinto Barreiros.

à suivre…

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