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Beaucaire 2020

« Al que vive de la esperanza, la esperanza lo mantiene » (La San Marqueña)

Le 26 juillet 2020 vers 21h15, la Grande Histoire (beaucairoise…) retiendra que la blague en vogue entre les cigales et les platanes était « Pas mal cette temporada 2020, un peu courte peut-être ». A l’heure qu’il est, seule Beaucaire a organisé un spectacle taurin formel en France et hormis les mixtes tiercé-Castella de Béziers ou des Saintes Maries de la Mer, il faudra attendre octobre et espérer que St Martin de Crau tienne bon.

Dans la merde noire, collante, profonde et onctueuse où nous nous débattons, la flamme taurine semble à bout de combustible : du côté espagnol il semble acquis que le gouvernement national a juré in petto la mort de cette culture par l’étouffement économique de ses acteurs alors qu’on attend désespérément que le Partido Popular au pouvoir à Madrid et dans sa communauté donne un coup de main à l’échelon régional. Mais rien ne semble venir et j’ai beau demander alentours, personne ne semble en mesure de m’expliquer où est passé le soutien théorique de la droite traditionnelle espagnole à la tauromachie. Le secteur a baissé les tarifs dans certaines catégories (-25% sur les cachets des catégories inférieures), mais nulle empresa privée ne se risque à organiser quoi que ce soit à quelques exceptions près : Avila, Puerto de Santa Maria, Huelva, et des non-piquées en Andalousie. La plupart des ferias de novilladas de septembre ont déjà annulé, on espère encore un miracle du côté de Villaseca de la Sagra (Toledo), on n’ose plus rien attendre de la Mecque du toreo où personne ne s’est donné la peine d’insister pour lidier quelques novillos cet été malgré la capacité énorme de l’arène permettant de respecter des distances de sécurité. On attend toujours une initiative constructive des tenants du mundillo : les figures et leurs apoderados omnipotents pour maintenir à flot la tradition coûte que coûte. Côté Français, les préfets semblent peu conciliants (du côté des Landes notamment), les rumeurs de Nîmes et Arles n’incitent guère à l’optimisme, même si l’on n’est pas très sûr d’avoir envie de se taper Ponce partout de toutes façons.

Seule Beaucaire donc, a eu (1.) la chance de bénéficier du moment idéal entre déconfinement et crainte de « deuxième vague » pour (2. avoir les burnes lourdement accrochées d’) organiser au dernier moment la novillada annoncée en début de saison puis annulée en mai. C’est un geste d’afición remarquable qui mérite un immense respect et beaucoup de gratitude. L’association d’aficionados organisatrice a bénéficié uniquement de la part de la mairie de la préparation des arènes en vue de la course camarguaise que la municipalité montait le lendemain. Tout le reste est de leur fait. La novillada de Beaucaire ne dépasse pas les 1000 entrées depuis des années et le financement de celle-ci se fait en partie grâce aux recettes de la bodega tenue par l’association tout au long des fêtes. Cette année, pas même une buvette aux arènes, des prix à peine plus élevés que l’an dernier et le risque consenti de puiser dans les réserves financières des années précédentes ont permis de voir la lidia de 6 impressionnants novillos dans un défi entre les élevages cousins du Conde de la Corte et de Dolores Aguirre. Cerise sur le gâteau, les novilleros ont été payés au prix conventionnel sur la base de cuadrillas rémunérées normalement (payant bien 100% sans les 25% de remise pourtant prévus cette saison). A l’instar d’Eric Neuhoff au guichet du cinéma, nous ne sommes pas là pour donner des prix de vertus ni pour savoir si à l’heure de monter le plateau, le producteur voulait coucher avec l’actrice ou si le réalisateur avait braqué l’héritage de sa belle-mère, mais dans le milieu taurin, les rumeurs vont d’autant plus vite qu’elles sont putassières… dont acte et chapeau bas aux Beaucairois.

Oui mais alors ? Trois Conde de la Corte, solides, bien présentés, mais sans fond ouvraient l’après-midi (Ojos Verdes n°54 09/16 – Noche Larga n°61 12/16 – Pinzón n°56 09/16) suivis de leurs descendants / cousins de Dolores Aguirre très sérieux, de caractères affirmés (Burgalés n°20 10/16 – Comadroso n°6 11/16 – Cigarrero n°36 10/16) pour José Cabrera, Francisco Montero et José Antonio Valencia.

L’élevage creuset de la cabaña brava a échappé de peu à la disparition, récupéré des vaches et tente de remonter la pente avec un effectif réduit : une corrida et une novillada cette saison. Le premier était magnifique, le troisième haut et cachait derrière deux poignards une corpulence un peu fine. Fidèles à l’adage voulant que « al primero va hasta mi perro », ils furent au cheval pour la première rencontre mais plus ensuite et restèrent courts. Seul le second dans les mains assez expérimentées de Montero donna un peu de jeu permettant au torero de couper la seule oreille de l’après-midi après une bonne estocade. Les trois Aguirre démontrèrent ensuite qu’en cas de crise, l’on peut compter sur le secteur bancaire aussi mal intentionné soit-il. Grosse présence en piste d’emblée, trois piques assez mal données. Trop de caste pour José Cabrera qui n’avait pas les armes et restera inédit. Comadroso, énorme chorreado à faire cauchemarder toutes les balances de règlements taurins fut accueilli à genoux a porta gaiola par Montero et son capote de paseo (déjà vu dans « l’encyclopédie de la corrida » de Lafront édité dans les années 50 et d’après Domingo Delgado de la Camara également employé par Felix Rodriguez il y a bientôt 100 ans). Quelques soucis pour le mettre en suerte plus tard, Comadroso s’en fut furieux et le plumeau de la queue en transes, envoyer valdinguer la cavalerie Heyral à la loyale à la première rencontre. L’équipage ne semble avoir dû la sauvegarde de son équilibre à la seconde rencontre qu’à la talanquera. Le novillo partit de loin à la troisième mais sortit seul et vite. Survolté dans un registre novilleril, Montero posa (mal) la troisième paire de banderilles et en fit beaucoup au troisième tiers, perdant la grande porte sur trois pinchazos avant une bonne entière. A noter sa capacité à donner baisser et courir la main, rematant les passes par le bas. Vuelta généreuse au novillo qui malgré l’émotion en piste était plein de défauts.

Valencia, toujours vert, tomba sur le manso perdido caractéristique de la maison. Impossible à piquer à l’opposé du toril, il fallut s’employer pour lui faire admettre le fer à mi-chemin. Grande prestation du picador Jean-Lou Aillet qui dut résister à la charge violente d’un manso par deux fois et qui sut successivement rester en selle, garder le toro et administrer le châtiment, une leçon. Cigarrero s’éteint bien vite ensuite. Nous venions d’assister à deux premiers tiers épiques qui feront date dans la récente histoire des novilladas Beaucairoises. Les deux picadors se partageant le prix.

Je suis toujours très réservé sur le principe de ces défis ganaderos qui permettent de voir des toros de camadas réduites mais nous privent de la possibilité de juger d’un lot entier. 980 entrées « seulement » (950 l’an dernier), ce qui est désolant et incompréhensible pour une arène à 20 minutes d’Arles et Nîmes. Est-ce dû à la communication tardive, la crainte de la maladie ou le scandaleux travail de sape des « professionnels français » rivalisant de bassesse il y a quelques mois au motif fallacieux de l’absence de préférence nationale à l’affiche ? La (haute) tenue de la course fut la meilleure réponse qui pût être donnée.

« Quien te puso Beaucaireña
No te supo poner nombre
Que mejor te hubiera puesto
La bendición de la afición« 

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