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Cluster dacquois

La persistance de la tauromachie tient de plus en plus du miracle et l’époque ne semble rien vouloir arranger ; entre intempéries diluviennes la veille et regain de mesures sanitaires, la tenue de la journée taurine de Dax paraît elle-même avoir dansé sur une corde tout au long de la semaine.

Sous les appliques art déco de l’hôtel Splendid – pour anachronique que fût la comparaison – l’ambiance, à l’heure de se diriger enfin vers les arènes, charriait des effluves de fin du monde : le raffinement viennois emporté par la tourmente des années 1910, la tauromachie est plus anachronique en 2020 que l’an dernier, ce qui en dit long sur son absolue nécessité. Pour beaucoup, la temporada s’ouvrait et se fermait en ce même jour : dans l’ennui de la récitation rabâchée par Alvaro Lorenzo au sixième Pedraza, sous le ciel lourd et menaçant, la beauté fragile du solo de saxophone (soprano) de l’orchestre « Néhe » toucha l’impassible public en plein coeur, cette mélodie à beaucoup inconnue était-elle entonnée par un cygne conscient de sa finitude ?

Pedraza de Yeltes, donc. L’historique récent des arènes de Dax avait imposé la ganadería à l’affiche de la journée : 4 novillos et 6 toros et des cartels de « monde d’avant », entendez « normaux ». Pas de bricolage inventif, de tambouille improvisée, de grand mélange des genres, Dax n’a pas voulu réinventer la roue en ajoutant des chevaux, en rappelant de vieilles carnes ou en affublant du terme de concours une corrida sans sorteo, comme les daubes programmées dans le Sud-Est, à Nîmes, Arles et Béziers. Dax a eu la simplicité de vouloir organiser une novillada et une corrida dans le désert et c’est extrêmement louable.

Le matin, les 4 novillos salmantins étaient conformes à la logique d’un élevage qui sort beaucoup en corrida : 4 animaux inégaux de type (d’origine ?) et dépareillés, nantis de défauts rédhibitoires pour la présentation en corrida avec un an de plus. Le premier, brocho de cornes, avait déjà un physique de toro, et était avec le second le plus sérieux du lot, les 3 et 4 étaient plus hauts et fins, l’un un peu bizco, deux blessés à la croupe, le 3 perdit deux sabots postérieurs.

Solera devrait être matador à l’heure qu’il est mais reste très limité dans sa technique et son art, sa bonne volonté n’a pas suffi face au novillo le plus spectaculaire au cheval en trois rencontres mais qui finit par se réfugier aux planches sans que quiconque ne parvienne à lui redonner le moral. Son galop désordonné dès son apparition laissait soupçonner un problème physique

Montero bout du début à la fin et semble même aller crescendo dans l’ébullition au fil de la lidia, entamée à genoux avec le capote de paseo. Il est novillero jusqu’à la caricature accaparant en permanence l’attention du public par des trouvailles tourbillonnantes et finit par éclipser un novillo collant et impossible à arrêter car peu piqué suite à une chute après la première rencontre qui laissa penser à la possibilité d’un changement: 1 oreille.

El Rafi a tout pour plaire et réussir : un physique, une planta, une ville derrière lui, de la technique, des facilités… Après une magnifique entame notamment avec deux trincherazos impériaux, il passa sa faena à citer à la hanche, engancher 30 centimètres derrière lui un novillo déjà parti vers l’extérieur et grâce à son allonge donner une demie-passe loin, très loin derrière. Énorme gâchis, grosse inquiétude pour le « concept » du garçon et 1 oreille pour le déplacement.
Seul José Fernando Molina venu d’Albacete entreprit de toréer un haut novillo castaño dont tout l’escalafón doit rêver pour Noël ou les Rois Mages. L’ouvrage ne fut pas parfait mais ressemblait tout de même à du toreo structuré, posé, appliqué et pas dénué d’élégance : il était temps ! Demie estocade engagée, 1 oreille également. Vuelta al ruedo totalement hors de propos pour le novillo quasiment non piqué.

Le microphone semble être devenu l’outil incontournable des arènes françaises : consignes et annonce d’une minute de recueillement pour les victimes de la Covid en Espagne et en France. Le paseo s’immobilisa au son d’une « Marche Royale » aux accents funèbres, un peu ragaillardie par le refrain de la « Marseillaise » qui suivit, mêlant les deux hymnes.
Les visiteurs des toros aux champs annonçaient une recomposition bienvenue du lot de Dax avec des pièces héritées des invendus de l’année. Très sérieux d’aspect, les toros manquèrent de poder et de pétard en général. ‘Joyito’ ouvrit sans entrain, regardant tant sans jamais se livrer qu’il finit par mettre les cuadrillas en panique : 4 banderilles en 7 passages. Luque était annoncé à la plénitude de ses moyens, idées et recours et la suite le prouva : capeador sans esbroufe mais chirurgical, le toro se vit dicter une faena qui culmina en 4 séries sur les deux mains frappée du sceau du pouvoir, toques sans discussion possible, conduite précise, calme olympien. Une leçon. Final tout aussi maîtrisé par ces affreuses luquesinas et épée légèrement en arrière, un rien tombée. Oreille absolument incontestable. Le 4 souffrait de faiblesse et de fadeur, on me souffle qu’il perdit un sabot : faena à mi-hauteur, à la ceinture, à la mesure des possibilités de ‘Sombreto’, pas d’émotion, mais toujours une grande précision, estocade al recibir, descabello imparable.

Que venait faire Lopez Simón dans cette corrida ? La même chose que ce dont je me souvenais de lui : trouver la distance sans le moindre problème, faire charger et répéter le toro sans difficulté et donner jusqu’à plus soif des passes torchonnées, en rond souvent, décroisé. Le public ne s’y laissa pas prendre, encore plus caricatural et froissé au 5, un long cauchemar de vacuité verbeuse.

Alvaro Lorenzo tomba sur la paire la plus propice au succès et récita ses deux leçons sans l’ombre d’une intonation, ni la plus infime part de personnalité. Pas plus que son prédécesseur il ne fit le choix de la concision, entendit des avis, coucha le 3 d’une estocade tombée fulminante et naufragea à l’heure de tuer le 6.

Corrida très décevante au niveau du bétail, présidence ultra aux ordres des toreros dans les changements de tiers. Réconfortante présence de nombreux amis, verlainienne sortie des arènes au crépuscule :

Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.

  1. Patrice Quiot Répondre
    Bien niño, bien...
  2. Beñat Répondre
    28 septembre...28 octobre Etait-ce vraiment indispensable? Beñat

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