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La vie sauvage

Vendredi 15 janvier 2021,

Vent léger, quelques degrés au-dessus de 0. Le ciel comme un cocard.
À ce jour, les comptes précis de l’U.V.T.F. n’ont toujours pas été publiés…

La mer n’est pas belle ce matin. Striée de lignes d’écumes foutraques, elle s’abandonne sur les bancs de sable sans le souffle épique qu’on lui a connu ces dernières semaines. Je viens la voir souvent sans trop comprendre ce que j’en attends. Rien certainement et puis la vue est contrainte, je pourrais toucher l’horizon, le ciel est trop bas, on y voit comme dans une nuit sans lune et sans étoile. La plage est un désert. Aucune forme, aucun lointain point sombre ne vient briser son vide, le regard chute sans trouver ce minuscule rien à quoi se raccrocher. La côte espagnole, au sud, n’existe plus. Même, on pourrait douter qu’elle fut là un jour et que la ligne bleu mauve de sa terre accidentée déchire par beau temps l’azur parfait de l’horizon. Rien, pas même la suggestion, comme un porno. Rien donc. Rien.

Gamin, l’été, je rêvais ici au coucher du soleil. D’Amérique, de New-York qui est en face, en tout cas c’est ce que nous pensions tous quand nous étions gamins, mais plus sûrement d’Espagne. Je plissais les yeux avec cet espoir que je savais vain que s’esquissent les rocs et les collines de Biscaye qui dissimulaient à peine, sorte de dentelle érotique pour le coup, les toros géants de Bilbao que je n’avais pas encore l’âge d’aller voir aux arènes.

Les toros de Bilbao…Vista Alegre. J’y repensais maintenant. Des années sans y mettre les pieds et toutes les raisons du monde pour me persuader que j’avais eu raison. Le temps qui manque, le manque d’envie, l’envie d’aller ailleurs, ailleurs c’était peut-être mieux, je me disais ça. En vérité, Bilbao avait le tort, selon moi mais peut-être me fourvoyais-je, d’être devenue comme les autres. Une de plus et non plus une à part. Le sable gris n’était plus tout à fait gris, ça aussi ça avait changé. J’ai abandonné l’idée d’apercevoir Bilbao, de l’imaginer et de m’imaginer y retourner rapidement. J’ai tourné le regard vers le nord, en quête d’une branche à laquelle le sauver mais le fil de côte s’est perdu dans un énorme nuage menaçant. J’ai égrené, comme une litanie de géographe, les stations balnéaires que l’océan de la forêt des Landes noie et n’autorise à exister qu’à l’aboutissement – au-delà c’est l’océan, le vrai – de routes confidentielles que l’on traverse dans le cliquetis visuel et rythmé de la lumière qui perce à travers la fragilité de troncs faméliques. Vieux-Boucau, Moliets, Mimizan, Biscarrosse. Il en manque. J’ai pensé qu’avant Biscarrosse, en venant de l’intérieur, en venant de la terre, il faut traverser Parentis. J’ai repensé aux toros, au mois d’août et je me suis fait la réflexion qu’il en irait de Parentis comme de Bilbao. La feria de novilladas, ou ce qu’ils en feraient, deviendrait une parmi d’autres et non plus ce qu’elle était jusqu’à présent, une à part. L’ADA a annoncé il y a quelques jours que la nouvelle municipalité avait pris la décision de se passer d’elle pour organiser ses rendez-vous taurins. Si l’on en croit les récents remerciés, la mairesse et son staff désirent mettre fin à « l’élitisme » taurin et veulent apporter un caractère « plus festif » à la tauromachie locale. Le diktat des « il nous faut un animateur », des « des piques oui mais pas trop », des « il faut des oreilles pour satisfaire le public » a encore frappé et cette fois dans un bastion où le toro était un roi depuis longtemps. Je l’écris d’autant plus facilement que l’ADA Parentis et Camposyruedos sont en froid depuis quelques années. Il n’est pas ici question de rappeler les faits qui amenèrent à cette discorde mais au-delà des critiques que nous avons pu émettre, il ne fait aucun doute que chacun d’entre nous a toujours conservé un profond respect pour ce que l’ADA a construit au long de toutes ces années. Profond respect qui s’appuie sur une attente commune : la mise en valeur de la lidia, du tercio de piques et de la variété des encastes. Et c’est justement cela que la nouvelle mairie a l’intention de détruire parce qu’elle en a la légitimité démocratique. Il ne s’agit rien moins que de détruire une certaine idée de l’exigence qu’elle nomme élitisme. En ce sens, la nouvelle municipalité n’a rien à envier à l’air du temps en drapant ses intentions dans la médiocrité et la facilité, en ne comprenant pas — ou plutôt en le comprenant très bien — que l’exigence flatte l’intelligence quand la médiocrité caresse l’opinion.

Sur le parking laissé à la solitude des journées mélancoliques de l’hiver, le sable des tempêtes passées avance comme une langue assoiffée. Je me dis que des milliers de ces grains de sable ont été transportés par l’arrière-train de Filoména. Depuis une semaine, le campo de la moitié nord de l’Espagne a les burettes léchées par des flocons gros comme des toiles d’araignée. La Covid-19 ne suffisait pas. Filoména s’est vautrée sur l’Espagne du nord comme on s’affale sur le canapé en rentrant du boulot. Les clichés de toros pataugeant dans le manteau neigeux font florès, les images sont jolies mais certains ganaderos ne manquent pas de rappeler qu’ils n’avaient pas besoin de ça et l’on serait prêt à parier que le prénom Filoména n’aura pas grand succès lorsque viendra le temps de baptiser une vache ou un gosse. Si l’on s’accorde à donner du crédit aux rubriques astrologiques des magasines féminins, le prénom Filoména serait italien mais de construction grecque puisqu’il signifierait aimer la lune. Une Philomène aurait vécu au III° ou IV° siècle et s’y serait fait connaître en devenant martyre ; bouffée par des lions, percée par un taureau, déchiquetée sur une croix, nul n’est en mesure d’avancer la jambe pour confirmer la version idoine. Son corps aurait été retrouvé au XIX° siècle (dans quel état ?) dans les catacombes romaines. A priori, la vierge du Bas-empire fit l’objet d’intenses débats dans les couloirs de la Papauté puisque le prénom fut retiré du calendrier chrétien dans les années 1960 au motif — quels chicaneurs ces curés — que rien ne prouvait que cette Philomène avait réellement existé. On voue encore un culte à ses reliques en Italie, à Mugnano del Cardinale mais passons car la question essentielle concernant Filoména demeure aujourd’hui la suivante : qui a le pouvoir de donner un tel prénom à une tempête ou à un phénomène météorologique de cette ampleur ? Sont-ils plusieurs ? Existe-t-il un comité de rédaction ? Rémunère-t-on spécialement un fonctionnaire à Bruxelles ou à Strasbourg pour en arriver là ? Y-a-t-il débat ? Engueulades ? Blagues limites ? Susceptibilité prénominale bafouée ? Exigence de politiquement correct ? Jean-Michel Blanquer a-t-il été interrogé à ce sujet ? Ce qui est plus sûr, c’est que les tempêtes portent toutes des prénoms car ils sont faciles à retenir par la populace et qu’une liste de candidats est dressée au préalable ; liste dans laquelle on ira piocher en faisant bien attention, depuis 1979, d’alterner prénoms féminins et masculins pour ne pas froisser les jupes des demoiselles car après tout, pourquoi l’hystérie météorologique ne serait associée qu’à des caractères féminins ? « Les aimables connes » de Houellebecq ne s’arrêtent pas pour trois gouttes de pluie et quelques giclées d’embruns mais il est amusant de remarquer qu’au final d’un très sérieux article publié sur le sujet dans Le Monde en 2017, le lien conduisant vers un papier connexe s’intitule « Pourquoi les cyclones du genre féminin sont les plus meurtriers ? ». C’est donc le quotidien proche du pouvoir en place qui donne la réponse à nos interrogations, dans cet article de 2017 : « Pour l’Europe, c’est le service météorologique de l’université libre de Berlin qui nomme tous les anticyclones, dépressions et ouragans. C’est à ces noms que font référence les médias français pour désigner les tempêtes ». À la fin, c’est toujours l’Allemagne qui gagne et Angela qui a le dernier mot. C’est comme ça mais en vérité certaines agences météorologiques nationales ont le droit de renommer la chose. C’est ainsi que pour nos amis Berlinois, Filoména était en fait un garçon, un certain Bartosz (Barthélémy en français) que les Ibères, peu goûteux de dialectes exotiques, diminuèrent de ses attributs virils par l’intermédiaire de l’AEMET (.Agencia Estatal de Meteorología). À l’heure où j’écris ces lignes, rien ne dit que je croise cet été la route d’un ‘Carafeo’, d’un ‘Asustado’ ou d’un ‘Diano’ dans une arène mais ce que je peux affirmer, car la technologie teutonne est fiable, c’est que les prochaines tempêtes s’appelleront Gaëtan, Hortense, Ignacio, Justine, Karim, Lola, Mathieu, Nadia, Octave, Paula, Rodrigo, Sofia, Tristan, Viviane et Walter.

  1. Anne Marie Répondre
    Pour une surprise, c'est une belle surprise évidemment. Mais là, même si l'on trouve bien ici la ligne conductrice du Larrieu, on s'y perd un peu. Enfin moi... Il a peut-être mangé des pommes au dessert... Et moi je dois vieillir, me lasser, m'ennuyer, espérer... Je vais donc relire plusieurs fois.

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