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La vie sauvage (III)

Mercredi 05 février 2021
Pluie molle, éclaircies molles. Vigilance rouge : les Russes annoncent un vaccin.
À ce jour, les comptes précis de l’U.V.T.F. n’ont toujours pas été publiés…

Tiens… il pleut. Justine est passée. La nuit. Furieuse, soufflante, hystérique juste ce qu’il fallait, presque décevante au bout du compte. 130 km/h en pointe, elle a remué l’océan façon de dire qu’elle était là. Elle a foutu le camp au matin, la vertu indemne. Le visage giflé par ses excès, j’ai maudit la nature, précisément pour ce que j’apprécie chez elle : son indomptable liberté. La technologie ou le « génie » humain auront beau faire, il n’existera jamais d’interrupteur pour commander la nature. Elle rugira si elle le veut et nous n’y pourrons jamais rien. Je l’ai maudite de ne nous offrir que ces jours de pluie sans fin qui ne succèdent qu’à eux-mêmes comme une tâche abrutissante accomplie des vies durant sur les rives assourdissantes d’une chaîne de production. Et puis To be confined or not to be confined ? That is the question, en France. Autre météo. « 66 millions de procureurs » attendent que la doxa jupitérienne s’abatte sur eux avec plus de possibilité de dommages collatéraux que ne le promettait Justine. L’œil rivé sur les titres de BFMTV ou de CNEWS, l’oreille tirée par Salamé sur France Inter, 66 millions de citoyens se demandent si le spectacle de leur propre enfermement aura bien lieu un peu à la manière de ces flopées d’aficionados qui attendent la décision de l’organisation un jour de pluie ou d’orage. Certains racontent qu’ils viennent de la côte, que là-bas ça tombe sévère et que tout sera annulé ou reporté. D’autres se sont abonnés à la chaîne Youtube de Météofrance, ils t’informent minute par minute de l’évolution chromatique du nuage menaçant au nord ou de la taille des gouttes susceptibles de nous tomber sur le coin de la gueule dans dix minutes. Si la course a lieu, ce sont les mêmes qui changeront de chaîne et publieront sur Twitter leur récit des faenas passe après passe, toque après toque, pour « informer » leurs « abonnés » masochistes et illettrés.

L’autre jour, je suis retombé sur une photographie de Domingo Valderrama. Il fait un desplante à genou à un machin noir et méchant. Valderrama s’envoyait souvent des toros méchants. En le regardant, Valderrama donc, j’ai repensé à ces attentes de jour de pluie et de toros sans qu’il n’existe de lien particulier entre Valderrama et la pluie. Je crois que j’ai pensé à ça parce qu’il pleut, parce que je n’ai pas d’interrupteur pour arrêter la pluie mais aussi parce que de Valderrama, et pourtant je le vis souvent, j’ai avant tout le souvenir d’une course aquatique de 1996. C’était jour de Miura. C’était un 7 juillet. C’était San Fermín. La capitale navarraise avait ouvert les yeux déjà gonflés des stigmates de la bringue entamée le 6 à midi sur un ciel si bas qu’il pouvait caresser l’échine longue et fine des 5 toracos andalous (un Miura était resté aux corrales car il s’était abîmé les cornes) qui n’avaient pas manqué de glisser dans le virage raide de Mercaderes. La chaussée était détrempée. Il tombait sur la capitale navarraise un Txirrimirri épais, pesant et même collant à huit heures du matin. A midi, le crachin qui avait rafraîchi les sueurs de l’encierro matinal autant que les bourriques à nuque longue probatasuna avaient congelé les espoirs de laisser se dérouler normalement le Riau-Riau, était devenu un bombardement tonitruant travestissant l’été naissant en une triste fin de soirée d’hiver comme on en connaît aujourd’hui. 9°C à 17 heures, la Finlande calle Jarauta ! Il paraît que Valderrama avait assisté en personne à l’apartado mais à 18h30, rien ne laissait espérer qu’il put affronter les deux Miura que le sort lui réservait. Les peñas faisaient l’effet d’une armée en déroute sur les Tendidos d’un soleil débranché. La cuite se distille mieux sous un franc ciel bleu. Il avait fallu que les areneros de la Meca épongent vingt minutes durant cette Bérézina météorologique pour qu’enfin Tomás Campuzano puisse accueillir le premier Miura sous les cris, presque déjà anachroniques en 1996, de « Induráin, Induráin ». Après je ne me rappelle plus. La porte de mes souvenirs est restée fermée. Ne demeurent que ces énormes éponges et ces incantations lancées à la gloire locale du cyclisme. En relisant les reseñas de l’époque, mine de rien ça fait déjà 25 ans et Valderrama a grossi, le petit torero fut assez bon au sixième Miura mais fort maladroit à l’heure de tuer le troisième : 7 pinchazos et 4 descabellos. Vicente Zabala de la Serna dont le père était décédé dans un accident d’avion en décembre 1995 en Amérique du sud, achevait son compte-rendu d’une plume trempée dans l’esprit de cette journée particulière, où les peñas restèrent coites, où la fête s’enrhuma, où la nuit fut froide : « nos vamos hacia el hotel con la ropa calada y el cuerpo entumecido ».

María Chivite, présidente du Gobierno de Navarra, a annoncé lundi que les Sanfermines 2021 ont vécu. Mardi matin, Enrique Maya, alcalde de Pamplona, se dit vexé. C’est à la Mairie de prendre une telle décision, pas au gouvernement de Navarre. Rien n’est décidé affirme-t-il en conférence de presse mais c’est vrai que ça sera difficile avoue-t-il au final. À l’heure où j’écris ces lignes, j’imagine qu’il doit aussi pleuvoir sur Pamplona. Qu’au plus profond des ténèbres du Baztán, la lumière ne conserve d’espoir que grâce à de savantes supercheries, que le bruit que font les gouttes d’eau qui s’explosent sur les pierres sans âge doit ressembler à un crépitement furieux plus oppressant que le silence et que même le cri désespéré du Basajaun nous laisse sans voix.

Il n’y a pas d’interrupteur pour arrêter tout ça. Ni pour faire cesser les digressions intérieures. C’est sans fin. Je ne peux pas tirer à la Winchester dans la gueule de la nature pour l’empêcher d’être ce qu’elle est ni ne peut dézinguer à grands coups de satons les pensées qui me viennent. Je ne suis pas William Munny dans Impitoyable, les choses ne sont pas aussi simples. « Exact… Jai tué des femmes et des enfants. Jai tué à peu près tout ce qui marche ou rampe à un moment ou à un autre. Et jsuis là pour te tuer Little Bill ». Des fois, j’aimerais être William Munny. Corto y derecho comme écrivent les anciens. Mais c’est compliqué la vie et puis il pleut et je n’y peux rien et personne n’y peut rien. Je lis un livre très chouette en ce moment. Ça parle de l’Ouest justement. De la chasse aux bisons dans les années 1870 dans le Colorado. Le personnage principal est la nature avec un N majuscule qui pourrait être le E de l’enfer. Il est très chouette ce livre. Vraiment excellent et grâce à lui je suis tombé sur les vers d’un poète américain de l’époque. Walt Whitman. Là-bas, aux States, il est très connu, un classique quoi. Sur les photographies, Whitman est souvent vieux et porte une barbe longue et blanche. Il a la tête d’un vieux sage, on dirait Claude Monet. Whitman a fait de la poésie, de la politique dans le camp démocrate. Il était opposé à l’esclavage. Je crois que Jim Harrison fait souvent référence à lui et je fais une confiance aveugle au grand Jim. Il écrivait bien Whitman. J’ai lu les vers qui suivent hier. Ils me semblent s’adapter parfaitement à l’époque, la nôtre je veux dire. Ils sont extraits de Feuilles d’herbe (Leaves of grass) qui connut plusieurs éditions à partir de 1855. À chaque fois ou presque, Whitman y ajoutait un poème. Un variant poétique en somme…

O moi ! O la vie ! Les questions sur ces sujets qui me hantent,
Les cortèges sans fin d’incroyants, les villes peuplées de sots,
Moi-même qui constamment me fais des reproches, (car qui est plus sot que moi et qui plus incroyant ?)
Les yeux qui vainement réclament la lumière, les buts méprisables, la lutte sans cesse recommencée,
Les pitoyables résultats de tout cela, les foules harassées et sordides que je vois autour de moi,
Les années vides et inutiles de la vie des autres, des autres à qui je suis indissolublement lié,
La question, O moi ! si triste et qui me hante – qu’y a-t-il de bon dans tout cela, O moi, O la vie ?

 ponse:

Que tu es ici – que la vie existe et l’identité,
Que le puissant spectacle se poursuit et que tu peux y apporter tes vers.

  1. Anne Marie Répondre
    Oh là, c'est du Larrieu, du beau Larrieu. Je suis très très fan. Je viens de voir les Marpet sur YouTube. Et aussi de lire et relire pour la nième fois tant de livres, de magazines, la Revue, bref, tout ce qui touche à ce vice. Faute de pouvoir les acheter à la presse du quartier, j'ai dû recourir à l'abonnement. Mais je ne vois même pas le facteur. Et je n'aurai pas dû lire du Larrieu, car pour le moral, c'est très dur. Et moi qui croyais que Valderrama était un footballeur... Je suis vraiment très déçue. Je dois donc encore lire et lire et lire... Je me sens bien seule... Les Toros me manquent. Mais CyR est toujours là, et ça, c'est chouette !

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