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João Ferreira vole

On pourrait le trouver trop grand. Trop grand pour un torero. La taille haute épouse mal les formes de l’art du toreo. Discriminer n’est pas le sujet mais les grands peuvent s’épanouir ailleurs que face aux cornes d’un toro de lidia. Ils déstructurent, en l’étirant en hauteur, le triangle idéal d’une tauromachie rêvée. Les blonds itou parce que les blonds désaccordent l’ordonnancement des couleurs et des contrastes de nos clichés bon marché sur les toreros. Les toreros sont bruns et ils sont sombres et leur peau est tannée par le soleil du sud. João Ferreira est très brun mais il est grand. Disons que ça fait une moyenne qui nous permet d’accepter de concevoir qu’il soit torero. João Ferreira a la peau mate, l’oeil noir mais doux, la frange un rien de travers et l’air d’un adolescent arrivé à l’âge de contempler jour après jour, des heures durant, la pousse de son système pileux dans l’espoir fou d’être barbu le lendemain matin, d’être devenu un homme. João Ferreira ressemble donc à ces jeunes futurs hommes auxquels la vie n’a, à cet âge, que trahisons et déchirements intérieurs à offrir : les poils se font espérer, les pieds sont devenus trop vite de longs paquebots sur lesquels sont plantés deux mâts faméliques et tremblants. Le reste de l’enveloppe chaloupe disgracieusement, le plus souvent voûté vers un sol qui s’éloigne irrémédiablement, un sol que l’on tente d’observer encore comme on se cherche dans le reflet de l’eau sans parvenir à dissiper le flou créé par l’onde parasite. Comme si le corps cherchait à contempler les restes de sa propre enfance devenue un mirage. 

Mais João Ferreira n’est pas voûté, ni plus adolescent. Il est torero de plata, frère d’un matador de toros et maître dans l’art de poser les banderilles. Il est Portugais. En soi, cela n’a aucune importance mais la banderille est à la tauromachie portugaise ce que l’épée devrait être à l’espagnole : le coeur de la lidia. Et même si le Portugal plante les farpas du haut de canassons magnifiques, il est agréable d’imaginer que la nationalité a dû avoir quelque influence sur la technique de ce jeune peón. João Ferreira pose les banderilles dans la cuadrilla de Javier Castaño dont on connaît la vista pour dénicher des subalternes de grand talent. L’on se souvient des heures de gloire du duo Fernando Sánchez / David Adalid. Ferreira a pris la suite avec une superbe unique, à la fois spectaculaire et chiche d’artifices. Il s’avance vers le toro sur la pointe des pieds, un rien timide, presque trop discret. C’est après qu’il occupe l’espace complet du ruedo et des yeux. Après. Quand il se retrouve face au berceau des cornes, quand il faut être précis, rapide, efficace. D’abord, il vole. S’étirant dans une ligne courbe idéale au-dessus de la cible qui charge. Sans exagérer, avec ce visage de gosse et dans cet envol parfait, il remémore la geste de Nimeño II. Ensuite, après avoir plané, il plante. Il dépose les banderilles à l’endroit précis où elles doivent l’être, sans rage ni démonstration de force, le corps inscrit alors au milieu du frontal, précisément au centre. C’est cette maîtrise totale du « timing », de l’instant qui époustoufle et fait rugir. João Ferreira vole, nous l’avons vu.

 

Photographie : João Ferreira face à ‘Barragán’, toro de Miura n° 79 (625 kgs), lidié à Soria le 25 septembre 2021 @ camposyruedos.com / Laurent Larrieu

  1. Anne Marie Répondre
    Je craignais pour sa vie... Mais le Laurent se cachait à Soria... Et ailleurs... Ouf, il est revenu, tel tonton Cristobal, et tout va bien, presque comme dans le meilleur des mondes. Tous les toreros sont beaux, et surtout ceux que l'on voit avec les bons yeux, qui plus est face aux pensionnaires de Zahariche. Merci Laurent. J'en profite pour vous inviter à lire le dernier livre d'Alain Montcouquiol " La bonne distance". La bise à CyR.

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