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Céret 2022

2022, cent ans après l’inauguration des arènes et trente-cinq ans après la première feria organisée par l’ADAC, Céret demeure cette forteresse taurine, source de divisions fortes d’opinions mais qui, à l’aune du nombre d’amis des deux côtés – avec lesquels on n’a jamais le temps de vraiment converser – présents, fait consensus au sein d’une partie de l’aficion partageant cette façon particulière de concevoir le combat du toro. Le cru 2021 (m’)avait laissé une impression mitigée, notamment en raison de la pénible journée du dimanche : l’explosion en vol de Montero en solitaire et l’âpreté ingrate des Raso de Portillo devant un public ayant laissé toute sa gomme de patience lors des deux premiers spectacles. Céret fait débat disais-je : les cartels, le son de la Cobla, la « qualité » du public, l’épuisante novillada matutinale ou les décisions présidentielles, pour ne citer que ces exemples, agrémentent les conversations et relèvent la saveur de celles ayant trait aux quelques points difficilement contestables. La feria fut un succès, le mérite en revenant en immense partie au lot de Dolores Aguirre (Santa Subita, qué Dios la tenga en su Gloria), redonnant le lustre qui lui revient à la démente profession de torero et ses lettres de noblesse à chaque syllabe de l’expression « taureau de combat ». Quatre toros, le premier et les trois derniers jouèrent ce jeu où l’on ne donne rien et dans lequel la peau se vend cher, face au cheval et dans les leurres, de la pointe des harpons au pommeau de l’épée, laissant le regret de ne pas avoir vu le ‘Carafea d’ouverture au cheval une troisième fois (a). Lamelas passa grandement à côté d’un lot offrant de chères mais grandes possibilités, Roman s’en tira face au second dangereux et réservé et Maxime Solera confirma au capote au 3 (exsangue après la pique) et à la muleta sur les deux cornes du 6 les progrès inespérés de son toreo depuis l’alternative, malgré les écueils compréhensibles du manque de pratique : faena trop longue, toro essoré, mort laborieuse, 2 avis, trophée envolé. Premier miracle du week-end lors de l’interminable et légitime batacazo occasionné par le 5 : groupe équestre soulevé contre la barrière, renversé, corne fouillant longtemps sous la selle le chemin de la blessure et cheval sortant finalement indemne d’une scène pasolinienne de mort et d’accouplement. Salut du mayoral, mines réjouies, sixième toro décapité, gonades cuisinées dans la vallée et gratitude éternelle de Bilbao à Constantina via le Vallespir.

La novillada de Alejandro Vázquez y Sanchez ne suscitait guère d’enthousiasme a priori mais laissa semble-t-il aux spectateurs un agréable souvenir puisque le mayoral fut également appelé à saluer et que le 4 eut les honneurs un peu exagérés d’une vuelta. Diego Peseiro fut rattrapé par le karma après son insolation de San Agustin de Guadalix en devant tuer 3 novillos après que Jose Rojo déclara forfait pour une raison a priori similaire dans la chaleur cérétane. Le Portugais s’accommoda fort bien de ses deux Nuñez : efficace aux banderilles et à la muleta, sans temps mort et faisant montre d’aguante sans forfanterie dans certains moments plus délicats, coupant une et une oreille et sortant en triomphe. Le Colombien Leandro Gutiérrez au contraire prit beaucoup de temps pour composer une posture qui lui semble chère et lassa le 3e novillo très tardo au point de le faire répéter d’ennui en fin de faena. De présentation impeccable, le lot manqua à mon humble avis de fond et d’alegria.

Le bilan de la corrida de Palha (intégralement baptisée de noms de familles d’Iban) doit beaucoup aux hommes et à la dimension prise par Sanchez Vara, chef de lidia impeccable, sûr de son sujet (étant le torero de la casa Palha depuis longtemps) et animateur sans effet de manche d’une longue après-midi qui partait mal après le changement du second, remplacé par un Peñajara soporifique. Sergio Serrano confirma face à l’embestida longue du 5 qu’il faut le voir à Madrid mais peut-être pas ailleurs, passant à côté du toro de la course (pour le torero du moins). Au royaume de la pique, la course valut par ses banderilles, Sanchez Vara excella dans cette discipline où les matadors actuels supposés spécialistes clouent à des kilomètres des cornes et culmina sur deux paires (2 et 4) au quatrième toro, plantées dans le berceau au son des « fêtes de Mauléon » que la Cobla Mil lenaria adapta magistralement au rythme du matador (b). Quelques mauvaises langues (c) persifflèrent (assez justement) que la course de Palha commençait à la sortie du 6, ‘Saltillo, superbe toro, plus astifino d’une botte d’aiguilles qui s’avisa très vite à la fin du premier tiers un peu léger, occasionnant un tiers de banderilles impossible, coupant la sortie, cherchant les hommes et trouvant le banderillero à la première tentative (d), le même parvenant à clouer une paire avant de chuter au sol la tete la première au passage de la barrière. Entre temps, Pedro José Cebadera (e) après un passage à faux cloua une paire d’anthologie (l’expression n’étant ici pas galvaudée) dans le berceau du touro, confirmant que son héroïque pose de banderilles vue à Madrid face à un Escolar aux intentions similaires ne devait rien au hasard. Damian Castaño cria beaucoup comme pour effrayer sa propre peur aux 3 et 6 (f), mais comme à Vic face à un Baltasar excellent, put donner un aperçu d’un tracé intéressant à la naturelle. Les passes (plus qu’une faena à proprement parler) à feu et à sang face à ce diable de ‘Saltillo coûtèrent un effort surhumain. A noter que dans cette saison où l’afeitado semble être devenu la norme, les Palha tapèrent beaucoup et fort sans que le moindre bout de corne y trouve quoi que ce soit à redire, l’ADAC semble véritablement opérer de sacrés miracles. Il me semble important que ces ferias autour du toro se voient parfois couronnées de succès pour assurer la pérennité de leur originalité et qu’il convient de se réjouir.

a. La présidence changea le tiers après deux bonnes piques, ouvrant le bal des décisions contestables, qu’à cela ne tienne, nous avons le nom et l’adresse de l’assesseur en veste claire.

b. Il paraît que cela rend affreusement mal en video, ne cherchez pas, souvenez-vous ou croyez

c. Langues un peu fatiguées en fin de week-end

d. Deuxième miracle du week-end, images interminables du banderillero suspendu par l’habit, la corne cherchant sous la veste

e. aka Monsieur Propre

f. …ou dose mal les produits

Photo © Fabien Penchinat, abrivado cérétan

  1. Jean-Michel Répondre
    Fort bien écrit , bravo !

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