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Negro zaino

Parfois c’est une carte postale, à d’autres reprises un ticket de cinéma ou de métro, une carte de visite ou celle d’un restaurant. Tant de choses peuvent servir de marque-pages…

A l’instant de reprendre l’une des lectures inachevées de l’été, restée au fond d’un vieux sac, je retrouve ce fichu sorteo de la corrida cérétane de Dolores Aguirre que j’avais cherché avec une obsession de cinglé, une attitude de psychopathe, tard dans la nuit du 16 au 17 juillet, retournant la chambre moisie de l’hôtel, scrutant les dessous de lit à quatre pattes, finissant par gueuler de rage dans les oreillers parce que sans les noms, sans les numéros, sans les poids, sans les dates de naissance de ces toros dont nous avions d’ailleurs passé à la poêle, le soir même, les bijoux de trois d’entre eux, c’était comme si toute une partie de leur souvenir m’était subitement dérobée.

A l’heure qu’il était, je n’allais appeler personne. Ni François, ni Florent, ni Arnaud, ni Fred, pour savoir si l’un d’entre eux avait pensé à garder un exemplaire du sorteo… Il allait falloir attendre. Attendre au moins le matin. Quelques heures à peine à tuer. Rien. Mais ça foutait les boules.

Je ne me souvenais que d’un nom et d’un numéro, et j’allais devoir attendre le jour avec ce maigre butin. Le nom: ‘Carafea’. Le numéro: 32. Je m’en souvenais parce que c’était lui, né donc en octobre 2016 et qui pesait 570 kilos (ainsi que j’ai pu le vérifier enfin aujourd’hui), qui avait descendu la cavalerie, coupé tous les câbles de l’ascenseur, fait surgir dans le réel le concept de rupture générale, totale, définitive.

C’est impossible, mais il me semble aussi que ‘Carafea’ avait la pré-science de sa propre fin, imminente, et j’aime croire à l’idée que c’est pour cela qu’il a non seulement tout foutu par terre avec la placidité des plus grands fauves, mais qu’il avait encore quelque chose à régler, à achever avant de partir, et que c’est pour cette raison-là qu’il est monté sur la monture effondrée, « piétinant les décombres » comme l’a écrit Joël Bartolotti dans la revue Toros, histoire de l’enfouir à son tour dans l’issue de son sort à lui…

Je n’y avais pas prêté attention sur le moment, ou peut-être l’ai-je oublié, et le sorteo qui me sert de marque-pages me l’apprend ou me le rappelle, mais ‘Carafea’ était un negro zaino, c’est-à-dire un toro à la robe noire et sans reflets.

Un toro mat, en somme, comme le bruit de sa charge quand il y est allé avec la conviction qu’il ne laisserait rien debout derrière lui.

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