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Les toros ne sautent plus

La glycine est fleurie. Il faudrait que le printemps reste le printemps, qu’il ne soit pas la chrysalide pas l’été. La glycine serait toujours fleurie, et les jonquilles aussi. Et les toros seraient toujours au campo, ils resteraient des rêves, des paris sur demain, on se dirait qu’ils sortiraient forcément forts et méchants parce qu’ils sont si beaux, là, au campo et rien ni personne ne pourrait dire le contraire parce qu’on s’en foutrait de ce que dit rien ni personne. La glycine serait fleurie et on s’en foutrait. Les Cuadri seraient superbes à Comeuñas, des statues noires à l’horizon. Il faudrait que le printemps reste le printemps, que les Cuadri restent au campo, que leur sang les fige au loin dans nos rêves forcément mensongers. Si le printemps restait le printemps on ne décrocherait pas pour entendre : « les Cuadri ? Pffffiouuu, vraiment mauvais. Rien quoi. Tu vois rien… même au cheval rien ». Il y a longtemps, quelqu’un l’avait écrit dans une revue. Que les Cuadri étaient beaux au campo mais qu’après c’était plus ça. Il y a longtemps, quand on lisait encore des revues et des livres sur les toros. On s’impatientait d’ouvrir la boîte à lettres, on furetait chez les bouquinistes. On n’irait pas à San Agustín de Guadalix mais il nous raconterait. Lui il y allait. Pas que pour ça mais il y serait, il prendrait des photos et il s’excuserait que certaines soient mal cadrées parce qu’il n’avait pas l’habitude et que le caméraman en callejón l’avait fait chier à se poster pile devant lui. Il lui avait dit avec le sourire de se décaler ce à quoi le vidéaste avait répondu qu’à gauche il ne serait plus protégé par le burladero. « Mais les toros ne sautent plus tu sais, c’est fini ça » il lui avait rétorqué au filmeur pour le rassurer un peu à la manière d’un ministre français t’explique que tout ça c’est pour ton bien. En plus il avait trouvé le livre que tu cherchais parce qu’on est quelques uns à lire encore ce genre de prose. Même l’auteur était là quand il l’avait acheté ce qui ne changeait rien en soi mais qui avait dû pimenter quelque peu son achat, le rendre comme plus exotique. Et puis, j’ai photographié des cigognes aussi. Elles passaient au-dessus des arènes, elles nichaient à côté, indifférentes à cette corrida pas terrible où un Ibán avait été honoré d’une de ces vueltas al ruedo qui achève de faire tourner la tête des plus crédules. Il ne voulait plus entendre parler de Serna, un des matadors de la course et ça tombait bien parce qu’on ne savait même pas qu’il était au cartel. On n’en parlerait pas. On dirait seulement de faire attention sur la route du retour parce que le printemps c’est la vie qui s’annonce et que la glycine est fleurie.

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