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C’est un monde !

C’est un monde ! De mémoire (faillible) d’aficionado et lecteur il me semble bien que nul subalterne n’avait encore franchi le pas de la banderille à la plume. Alors même que les ouvrages de témoins « embedded » dans des coches de toreros ne manquent pas (Jean Cau, Josephine Douet, Jean-Michel Mariou…), les membres de la cuadrilla restent les grands muets de la chose taurine. Maxime Ducasse concède volontiers qu’en aucun cas « un écrivain est né » (il y a quelques semaines au Club Taurin de Paris), de fait, son style est parfois télégraphique, mais le bouquin en revanche est bien là : écrit en secret dans les hivers taurins: chaque année le banderillero envoyait quelques pages à Jacques Durand sans but précis ni prétention à la publication. Il est question de la saison, de moments, d’impressions, quelques anecdotes… C’est dans ses « impressions » que le pudique Maxime Ducasse est le plus convaincant : loin de jeter en pâture de la « révélation » putassière ou de répondre aux questions indiscrètes pour lesquelles l’on perçoit qu’il n’a jamais eu trop de scrupules à envoyer paître, il dévoile par petites touches quelques aspects de la vie asphaltée d’un banderillero suelto ou du « groupe spécial » selon les saisons. 

L’on torée finalement assez peu dans le bouquin, mais l’on s’y prépare beaucoup, comme si la vie consistait à aller lidier, banderiller quelque part et en revenir, parler peu entre personnes qui se comprennent à demi-mot. La lidia est un langage, telle est la thèse la plus intéressante du livre. 

Au fil des pages, Maxime Ducasse décrit son rêve réalisé : faire partie de ce monde que tout le monde fixe au moment du paseo, ce « mille » doré-argenté des différents cercles concentriques qui caractérisent une arène, cette planète-naine qui ne regarde qu’elle selon ses codes et ses traditions. Ainsi, le bouquin est plus révolutionnaire par son côté inédit, ses boucles annuelles bouclées, la carrière terminée que par son propos : les « aînés » sont abondamment cités et rien ne déroge à l’ordre établi. 

Pour l’aficionado, les habitudes madrilènes au Matute aujourd’hui disparu, dans le « foro » de la capitale et les exils sévillans sans retour nécessaire à « la vie normale » constituent une existence fantasmée. Il existe en ce monde un autre petit monde qui parcourt les routes, en grillant des clopes et parlant de toros des nuits entières avec des gens qui ont connu Dominguin. Tout cela est beau comme la lueur d’une cafétéria de station Repsol au milieu de la nuit. 

« La cour des grands » de Maxime Ducasse aux éditions Au Diable Vauvert, 300 pages ou presque. 

Photo @Yannick Olivier

 

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