Les uns après les autres. Tous. Les 6. Même le septième, un novillo de réserve, le plus sérieux de la bande, qui remplaçait un congénère boiteux. Tous reçus a porta gaiola dans le petit ruedo cérétan. Comme un refrain, un gimmick, la rengaine de cette novillada matinale de Quintas et des frères Quintas Parras, deux fers inusités ou presque, inconnus du bataillon pour beaucoup, jamais vus pour la majorité, affichant l’encaste Vicente Martínez et la revendication d’une vieille origine jijona. Une curiosité. Une énigme. Une équation à plusieurs inconnues.
Parce qu’on résout parfois un problème en crevant son abcès, Jesús de la Calzada ne tergiverse pas et, une fois le paseo terminé, décide à 11 heures et 5 minutes, en chef de lidia, de s’avancer vers la porte du toril, de s’agenouiller comme aux vêpres, de se signer dans une ambiance à mi-chemin de l’hara-kiri et de l’extrême-onction, d’embrasser une dernière fois la minuscule croix pendue à son cou, de faire signe à l’arenero qui s’apprête à déverrouiller la lourde porte en bois que cette fois-ci c’est bon, on peut y aller, on en a fini avec les falbalas et le protocole, que désormais c’est trop tard, on ne reviendra pas en arrière, advienne que pourra, ça passera ou ça ne passera pas. Jesús de la Calzada est à genoux, et il attend que du fond de ce trou noir sur quoi s’ouvre la porte du toril jaillisse l’énigme.
Il y a dans la porta gaiola l’esprit d’une témérité supplémentaire, comme si déjà le reste ne suffisait pas. Une témérité de l’abandon, provocatrice, subversive, tremendiste assurément, et un geste qui révèle une fois de plus que si les toreros ont des cases en moins ou des cases en plus, ils n’en ont certainement pas le même nombre que nous. Le vieux Santiago López, torero des années 70, l’avait raconté à José-Luis Ramón : « Il faut prendre en compte que le toro est dans l’obscurité depuis des heures, qu’il peut sortir aveuglé, arrivant dans l’inconnu et donc c’est l’animal qui par sa course, prend l’initiative. » Il y a et il y a eu des adeptes de cette suerte délirante. Juan José Padilla en son temps, Manuel Escribano, bien d’autres cinglés d’hier et d’aujourd’hui qui usent du procédé comme pour surligner la dramaturgie de la corrida mais lui donner ce qui parfois, pour ne pas dire souvent lui manque : l’allégresse. Pour cela il n’y a pas cinquante mille manières, et la porta gaiola en fait partie, comme les estocades a cuerpo limpio, les sauts a la garrocha, le coup de la chaise…
Puis il y a la preuve. La preuve qu’on en a dans le slip, sans rajouter de coton. Et comment dans ces conditions, pour les autres compañeros en piste, ne pas prendre cela comme un défi ? Alors le dimanche 13 juillet 2025 à Céret, ils y sont tous allé. Les uns après les autres, Jesús de la Calzada, Pepe Luís Cirugeda et Mario Vilau, 7 portas gaiolas dans ce cocktail aux proportions indéfinissables où entrent nihilisme, pundonor et competencia. Jesús de la Calzada, au quatrième novillo, y est même allé debout, avec des sortes de gaoneras. Pepe Luís Cirugeda a prolongé ces plaisirs avec quelques faroles, quelques largas cambiadas, face il est vrai à des novillos certes bien présentés dans l’ensemble, plutôt « faits », sans trop de cornes, avec de la tête pour certains mais hélas un déficit de caste et de force. Ce n’était pas les « toros de guerre » qu’affectionnait Jean-Louis Fourquet, l’ancien président de l’ADAC, sans l’esprit duquel Céret ne serait pas grand-chose ou presque, mais l’on peut croire, ou rêver, que malgré tout, les novillos de Quintas lui auraient sans doute plu.
Oui. Ils auraient plu à ce druide anarchiste chaussé de vigatanes, ce maboul adepte des cornus de l’extrême, non pour leur comportement mais pour leurs robes, cette déclinaison de berrendos, ces modèles uniques impossibles à tirer en série, à imprimer à quantités industrielles. Et puis ce premier novillo, ‘Virgencito’, portant le fer des frères Quintas Parras, roulé dans un sable grisâtre et clair, ponctué de pattes, de gueule, d’yeux et d’oreilles noires comme un ciel bilbaïen. Ça il aurait aimé, comme il aurait aimé voir Mario Vilau, qui a débuté avec picadors en septembre dernier. Sûr que son engagement à l’épée et sa volonté de respecter les canons de la suerte suprême, que son toreo appliqué et rigoureux, en un mot, peut-être tout simplement, son afición, l’auraient séduit. Sûr que ce gamin catalan de l’Hospitalet de Llobregat, né dans ce faubourg barcelonais qui jouxte les hauteurs de Montjuic, serait sorti sur ses épaules. D’ailleurs depuis dimanche, la presse et les sites spécialisés ne tarissent pas d’éloges à son sujet, ne manquant pas de relever aussi que le jour même, le soir même, Fernando Robleño tirait sa révérence après un quart de siècle de présence quasi-ininterrompue à Céret. D’aucuns y voient comme un symbole. Un passage de témoin, de relais, l’achèvement dans le renouveau. Un peu comme dans l’Ecclésiaste : « Ce qui fut cela sera, ce qui s’est fait se refera ».