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La « U »

reta16Chaque toro est un livre ouvert. Livre d’art, calligraphie du feu, livre de savoir, livre d’avenir autant que du passé qu’il porte en lui. Le toro : enjeu littéraire !

Trois, quatre signes qui fondent un monde, des angoisses et des espoirs. Le marquage au fer rouge des animaux remonte à la nuit des temps, semble-t-il, ou peut-être moins loin mais quand même. Il se raconte que Néron marquait ainsi ses chevaux, mais Néron était pyromane, tout le monde le sait. Le feu qui signifie : « Ceci est à moi. » Le feu rouge qui annonce l’ère de la domination de l’Homme sur son environnement et celle de l’individu sur le groupe. Le feu rouge qui marque la propriété mieux que ne l’eût fait une barrière de bois, un barbelé, un mirador. Les barrières et les chaînes se brisent, la marque du feu ne s’efface jamais, ne s’éteint que sur le sable de l’été, un couteau dans le cou.

Le toro marqué au fer comme une page blanche. Les mots sont rouges comme on brûle. Rouges, à jamais ; écrire c’est tremper sa plume dans le feu. Tchhichhsss… Comme un veau, on hurle, on se débat face aux mots, aux phrases, au sens et à l’inutilité sublime de tout ça.

Après, ce sont les mots qui nous marquent, à nous, juste retour des choses. « Dans ta gueule !  » nous lance celui qui écrit ; « Je suis fort », parade le toro. On garde en mémoire les mots — pas tous — et les toros — pas tous non plus. C’est déjà ça. On se marque au fer rouge en lisant, ça trotte dans la tête, ça part jamais. ‘Murciano’, n° 84, guarismo 8 et tatoué d’un « A » couronné…

« Et comme il m’a embrassée sous le mur des Maures et j’ai pensé bon autant lui qu’un autre et puis j’ai demandé avec mes yeux qu’il me demande encore oui et puis il m’a demandé si je voulais oui de dire oui ma fleur de la montagne et d’abord je l’ai entouré de mes bras oui et je l’ai attiré tout contre moi comme ça il pouvait sentir tout mes seins mon odeur oui et son cœur battait comme un fou et oui j’ai dit oui je veux Oui. » Biafine mais pas trop, surtout pas trop.

J’ai regardé Miguel Reta regarder son père marquer la première vache du « U » de la Unión de criadores de toros de lidia. Il n’avait pas la larme à l’œil. Son père souriait, lui. Miguel regardait, allait de l’un à l’autre. Il a foutu le camp pour séparer des vaches. Il est revenu. Il est reparti voir si la préparation du repas avançait. Il est revenu. Les autres enchaînaient les « U ». « ¡Dáme la “U”! » Veaux, velles, voyelles, allers, retours, fer rouge, fer froid, sourires, blagues, allers, retours. À la fin, Miguel Reta était heureux. Fatigué mais heureux. Il ne veut pas « lidier » ses produits de la « U » avant quelques années. Ils « mordent » encore. Il attend. Il a le temps. Il est marqué au fer rouge de l’afición.

Retrouvez, sous la rubrique « Galeries », une série de photographies de l’herradero chez Miguel Reta.

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