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Phénotype

jara4 Raúl Estevez est le fils de Fernando Estevez, décédé en 2013. Depuis, Raúl dirige la ganadería fondée par le paternel au milieu des années 1980 sur les terres de la très taurine Coria (Cáceres). Dans les registres ganaderos, l’élevage Jara del Retamar est annoncé d’origine Marqués de Domecq via José Ortega et Sayalero y Bandrés. Dans les prés, d’où déjà les verts se fanent, quatre ou cinq estampes sorties du silence de la sierra offrent au regard la beauté rustique de leurs pelages : berrendo en negro aparejado, negro zaíno, capirote en colorado o en castaño.

Raúl Estevez n’attend pas de nous jauger pour être clair dès le premier instant :
« Ce sont eux les toros intéressants chez moi ! Ceux-là ne sont pas Domecq, ce sont les Martínez !
— T’as acheté ça à Quintas ?
— Non, c’est proche, c’est vrai, mais mon père a acheté ça à une ganadería nommée La Espuela, d’origine Martínez. Et puis, Quintas a croisé, lui. Nous, non, et on essaye de conserver au mieux le phénotype originel. Chez Quintas, ils ne sont pas tout à fait pareils. »

Raúl est obsédé par ce mot : phénotype. Ses Martínez doivent être hauts et forts mais tout à la fois fins de type et surtout pas bastos « comme certains de ces Jandilla… Tu vois, l’arrière-train doit être haut. Si tu regardes des vieilles photos des Martínez, ils sont pareils, avec cet arrière-train très haut. »

Il a le look assuré d’un jeune du village : lunettes de soleil griffées Top Gun, jean taille basse, caleçon un tantinet apparent. On l’imagine sans peine au volant d’une Seat Ibiza « tunnée » avec tout le bon goût des adeptes du genre. Mais Raúl conduit un vieux 4×4 poussiéreux et passe son temps au campo. Il parle des toros comme un aficionado a los toros qui aurait connu le temps des grands Miura, des sublimes et combatifs Pablo Romero et des braves Pedrajas.
« Et tu les sors où ?
— Ici, dans les rues ! Raúl sourit, non d’un de ces sourires qui voudraient signifier sa désolation de nous décevoir mais pour nous expliquer. Tu veux sortir ça où ? Tu crois qu’ils en veulent des machins comme eux ? Chez moi, quand je “tiente”, une vache doit prendre neuf puyazos minimum sinon elle gagne son billet pour le matadero. Attention, je te cause des vaches Martínez, pas des Domecq ! Après ça encaisse une trentaine de passes en faisant suer le bonhomme. Y a pas besoin de plus ! Mes toros, je ne les sors pas “à pied” parce que personne ne vient me les acheter ! Des commissions françaises ?… Jamais vu ! »

Les deux vaqueros de la finca « Zagalvientillo » ne sont pas enchantés d’apprendre qu’il faut conduire le semental dans le cercado du haut. Observée de loin, la scène a le charme suranné d’une vieille gravure d’une scène campera où les toros ont des coffres démesurés et des cornes à ouvrir les ténèbres. Pour les deux hommes et pour leurs chevaux, c’est le remake du Salaire de la peur. On a proposé 30 000 euros à Raúl pour ce reproducteur. Il a répondu O.K. pour… 120 000 euros ! Le type n’est jamais revenu ; son père peut profiter tranquille de l’éternité, et Raúl dort sur ses deux oreilles.

En quittant Raúl et ses Martínez, en filant vers Séville et ses señoritos, nous nous sommes pris à rêver tout en ayant conscience, comme à chaque voyage, que ces rêves ne quitteraient jamais l’habitacle effervescent de notre voiture. Nous l’avons écrit tant et tant qu’il n’est point besoin d’en rajouter, mais à observer de près les 98 % des programmations taurines actuelles, il est indéniable que bien peu d’organisations font encore l’effort d’être originales. L’ont-elles fait un jour ? Chez Jara del Retamar, il y aurait pourtant de quoi faire…

Retrouvez, sous la rubrique « Galeries », une série de photographies consacrée à la ganadería Jara del Retamar.

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