À la fin des années 1950, ce sont donc ces cinq vaches qui portent en elles toute cette histoire d’un élevage aujourd’hui disparu, histoire aux atours de dédale, complexe, touffue et porteuse de secrets, évidemment, heureusement, comme seul le campo bravo est encore capable d’en conserver dans l’apparente et lisse transparence qu’impose notre temps.
Ce sont ces cinq vaches Branco Teixeira, dont l’une était chorreada en verdugo, sur lesquelles un homme jeune et qui portait beau avait tiré, un temps, le voile pour qu’un père ne s’offusquât pas de ses rêves.
Un jour il avait été jeune. C’est difficile de se figurer, au sens propre, l’apparence de personnes que l’on ne connaît qu’âgées ; mais sa silhouette était déjà une évidence, qui contemplait ses vaches dans les brumes hivernales ou qui les fantasmait le long d’une errance sur le pavé humide et luisant de sa « chère Lisbonne » après la pluie, s’arrêtant au coin d’une rue de la Baixa, le regard perdu dans la vitrine d’une échoppe au fond de laquelle un très vieil homme voûté perpétuait encore l’art de tordre le fer et l’or.
Ses vaches, son troupeau dérisoire, il n’en parlait à personne. C’était son troupeau, sa façon à lui de faire vivre l’art de « tordre le fer et l’or ».
Ces cinq femelles « tombées du camion » sont fichées dans sa mémoire comme une venue au monde, l’accouchement réel et poétique d’une histoire vraie d’un demi-siècle ; l’histoire de la folie d’un homme qui voulait contempler ses toros comme on s’émerveille les matins de printemps de l’éclosion d’une rose parsemée aux premières heures du jour de gouttelettes de cristal.
Et de ce jour où il livra son secret, de cette seconde où son père accepta le « massacre », de cet instant où s’ouvraient à lui les possibles et les probables, Fernando Pereira Palha ne se départit jamais de sa volonté d’être éleveur de toiros de lide.
