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Aucun bouquet ne vaut pour moi… (XXX)

LL-fernandopalhados« Ah, mon cher ami, si vous saviez, je les aimais ces duchesses de Palha ! Et je rêvais de pouvoir ramener certaines filles de ‘Chinarra’ sur mes terres. Mais, vous savez, dans la vie, les choses ne sont pas toujours simples, et l’on ne fait pas toujours ce que nous dictent nos rêves. Bref, bref… Un jour, j’ai demandé à David Ribeiro Telles de me vendre certaines des filles de ‘Chinarra’.

« C’était le début des années 1960, et ma sœur, Maria Isabel de Castro Palha Van Zeller, avait épousé David. Il était déjà un grand rejoneador, au style limpide. Pas un rejoneador comme ceux que l’on peut voir maintenant qui s’approchent beaucoup du toro, un peu comme José Tomás, vous voyez ? David, c’était une tauromachie plus périphérique, mais très belle, et un grand cavalier ! Un immense cavalier, mon ami ! Mais passons… David m’a regardé et a souri. J’ai senti que mes rêves allaient être difficiles à réaliser en observant ce regard.

« “Tu sais, m’a-t-il dit, je sais bien que tu les adores, ces Palha Blanco, mais ta sœur les aime certainement encore plus que toi !” Aujourd’hui que le temps a passé, j’en ris parce qu’il faut bien rire de tous ces moments que la vie nous a donné, hein ! Mais, sur le moment, quelle déchirure, mon cher ami ! Oui, une déchirure… Pourtant, après de nombreuses discussions avec David et ma sœur, nous nous entendîmes pour qu’ils me vendent un petit lot de vaches toutes descendantes de ‘Chinarra’. J’exultais, vous imaginez bien, et je percevais l’avenir de mon élevage amateur sous de nouveaux auspices. »

Dans son journal Venises 1, Paul Morand se souvient le jeune être qu’il fut et celui qu’il ne désirait pas devenir à l’âge adulte. Un homme édifié par le culte d’un monde qui n’était pas le sien, un homme d’avant, lui qui voulait être de son temps ou de celui d’après. Fernando Pereira Palha n’a sans doute jamais lu Paul Morand, ou bien si. Lui n’aurait pas brûlé, tout gosse et même plus tard, d’être autre chose que le fruit du monde qui l’avait vu naître ; et grandir entouré de ganaderos ne pouvait que l’incliner à le devenir lui-même un jour.

Pensait-il à son père quand les filles de ‘Chinarra’ broutèrent l’herbe de « Recouçao » ? À son arrière-grand-père ? À sa grand-mère Maria do Carmo ? Lui qui, aujourd’hui encore, poursuit son rêve à un âge qui pourrait lui octroyer la douceur d’écouter le crissement voluptueux et pastel du vent de l’ouest dans les feuilles de chênes-liège, s’est-il réjoui ce jour de ce qui l’attendait ? A-t-il chuchoté pour lui-même ces mots de Pessoa : « Quel grand repos de n’avoir même pas de quoi avoir à se reposer ! 2 » ?

On ne naît pas ganadero, on le devient. L’envie, les rêves, l’aficíon et l’argent ne suffisent pas. Du moins pour devenir un ganadero de verdad, et pas seulement un patronyme de plus sur un cartel de la San Isidro madrilène. Pour devenir ganadero, l’héritage familial ne suffit pas non plus, mais il donne un coup de pouce qu’il serait difficile de nier ; il transmet des gestes, il perpétue des manières de faire, de penser et de concevoir l’œuvre… D’autant quand il n’y a que la route à traverser.

C’est ainsi qu’en toute logique un semental de la casa Palha s’en vint couvrir le trésor de Fernando Palha. À l’arrivée de ce mâle, dont la mère était à moitié Tulio 3, correspondit le départ définitif des première vaches, ces Branco Teixeira dont une ressemblait à une Miura, qui restent encore mentionnées dans de nombreuses généalogies de la ganadería. La vie des ganaderías bravas est ponctuée de ces incessants nouveaux départs sur l’autel desquels le sacrifice d’amours anciennes ne semble pas être un prix excessif à payer. C’est aussi et peut-être cela être un vrai ganadero, ou apprendre sérieusement à le devenir, dans la mesure où les changements relèvent d’une démarche de qualité et de construction 4. Il faut savoir faire des choix, se risquer à être adulte, finalement. Ce jour de sacrifice, Fernando Pereira Palha est certainement devenu un peu plus adulte, et la joie de contempler les filles de ‘Chinarra’ n’a dû que trop peu desserrer un cœur encore jeune, mais moins enfant.

1. Paul Morand, Venises, Gallimard, 1971.
2. Fernando Pessoa (trad. Armand Guibert), Le Gardeur de troupeaux et les autres poèmes d’Alberto Caeiro. Poésies d’Álvaro de Campos, coll. Poésie/Gallimard, n° 214, Gallimard, 1987.
3. Les jumeaux Palha ont acheté, en 1955, des vaches et des étalons d’origine Pedrajas à Isaías y Tulio Vázquez.
4. Ce qui n’est aucunement le cas de ces dizaines de ganaderos actuels qui se ruent à n’en plus finir sur les succursales de troisième zone de l’encaste Domecq.

  1. anne-marie Répondre
    Encore, et toujours, ÉPOUSTOUFLANT, depuis l'arrivée dans la gare teintée de bleu. Je souhaite que les fidèles de CyR aiment, adorent, autant que moi.

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