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On écrit moins

LL-ToulouseL’afición a los toros est une machine à contempler le passé, le plus souvent sous la forme du souvenir. Il est certes possible de prédire quelques évolutions à la lumière de l’actualité — le toro d’origine Domecq n’a pas d’inquiétude à se faire —, mais, et c’est peut-être intrinsèque à tout aficionado : se souvenir des belles choses, jouer de sa mémoire, la partager, la transformer aussi, la tauromachie reste et demeure une mélancolie d’elle-même et de ses heures mortes.

Éramos tan jóvenes est le titre d’une série photographique créée par Juan Pelegrín, et qu’il était aisé de reprendre à notre compte au moment de fêter les neuf ans d’existence du blog de Campos y Ruedos (octobre 2005). Le temps était plus jeune, nos êtres plus légers.

« J’ai créé un blog. Comme ça on pourra écrire des trucs et ça sera plus facile à publier que sur le site. » Campos y Ruedos existait déjà. C’était un site foutraque et noir azabache, déjà photographique ; on le traficotait avec Frontpage. Rafael de Paula (photographie de Philippe Taris) était en page d’accueil — il se téléchargeait parfois aussi lentement qu’une de ses véroniques. On ne comptait pas le temps, en 2005. ¡Éramos tan jóvenes! Aujourd’hui, je commence parfois à me risquer dans l’estimation asphyxiante de celui qui me donne tous les jours un peu plus le sentiment de se sauver au loin de moi alors que je cours moins vite qu’hier.

C’est une photographie d’un toro présumé « aféité » de Palha, « lidié » à Aire-sur-l’Adour, qui nous a rapprochés. On prononçait encore ce mot en 2005 : afeitado. Ce n’est plus le cas neuf ans plus tard. Les fundas sont devenues pour certains ganaderos un alibi, l’arreglado a transformé une pratique frauduleuse aussi ancienne que la tauromachie en usage légalisé par tous.

D’autres nous ont rejoints. Petit à petit. On écrivait pour nous, pour les copains, on écrivait beaucoup. Faut que ça vive un blog, faut que ça tourne. Et puis on a moins écrit.

En neuf ans, c’est un fait, la corrida a changé de visage, à dire vrai de façade : la communication a pris le pas sur le toreo — Morante et El Juli présentent leur temporada depuis une boîte de nuit ; les toros sont produits et non plus élevés ; on lit Twitter et non plus Toros ; les photographies s’enchaînent en rafale ; les films se multiplient et tremblent ; l’iPhone vaut le reflex ; les toros ne tombent plus, ils collaborent !

On a moins écrit. Alors que nos consciences rendues lentement à l’âge adulte prennent la mesure de l’exclusivité de cette vie et devraient nous hâter de tout faire plus vite, d’accélérer avant qu’il ne soit trop tard… on écrit moins. Ce temps qui se sauve mérite qu’on lui donne le temps ; qu’on l’observe au pied d’un chêne ; qu’on l’apprécie nous faire attendre quand sèchent les pellicules ; qu’on le savoure dans l’espoir d’un séjour au campo ou la perspective d’une course.

Anachronique, la corrida a le temps : le sien. Nous aussi. On écrit moins.

  1. anne marie Répondre
    Campos y ruedos .... Voyage au bout de l'aficion..... c'est quoi cette mélancolie ? Un peu de nerf allons ! Feue 2014...... viva 2015 ! Si vous remollissez.... que vais-je devenir ?
  2. Fabien Répondre
    "papa tu parles trop, chante si tu as le blues !" disait Philippe Léotard. http://www.deezer.com/track/901506

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