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Herradero

On y arrive en se frottant les mains. Les uns tentent de les réchauffer, les autres ont hâte de commencer, et, pour certains, ce n’est qu’un geste qui traduit le bonheur de se retrouver. La saison morte vient de démarrer et l’hiver est très long, trop long. On y cherche désespérément les moments taurins comme on dégote les coquillages sur le bord de la plage. Un par un, attentif, pour ne perdre aucune bonne occasion de se retrouver pour sentir et parler toro. Alors on se frotte les mains, surtout pour la dernière raison, car on sait que rien ne va venir nous gâcher cette matinée et ce début d’après-midi, perdus dans la montagne.

Le café brûlant terminé, chacun cherche une place autour des flammes que crache bruyamment le brûleur de propane. Les fers alignés rougissent peu à peu et les tâches sont réparties. L’herradero peut commencer.

Au rythme des becerros, l’air se remplit de cette odeur si caractéristique de poil brûlé. Odeur âcre et pesante, peu ragoûtante en réalité, mais que l’on rêverait pouvoir renifler du bout des narines si l’on devait passer son samedi le cul dans le canapé ou errants dans un centre commercial bondé. Aujourd’hui, jour de chance, ça sent bon le poil brûlé. Ce parfum, on le conserve imprégné dans les vêtements et, le soir venu, on le ramène à la maison. Bien contents qu’on est de notre journée.

Au suivant ! La porte du corral s’ouvre ; un jeune mâle se lance dans l’étroit couloir et, de son impétuosité, s’enferme tout seul dans le cajón, le préposé à la tête récite à voix haute le numéro du crotal que le vétérinaire échange pour un numéro à deux chiffres tatoué sur le flanc pendant que le ganadero choisit le nom de l’animal. Baptême du feu. Au contact du fer, le poil s’embrase et la fumée nous envahit comme un brouillard une matinée d’hiver en rase campagne. La lourde fumée grise semble s’incruster dans le pelage de l’animal, et puis, finalement, fidèle à sa condition vaporeuse, s’effrite, s’élève et disparaît. On ouvre le cajón et l’animal vexé s’enfuit. Je ne suis pas sûr qu’il gardera un bon souvenir de l’odeur de poil brûlé.

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