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Aucun bouquet ne vaut pour moi… (XL)

fpalha2007La vie offre à chacun son lot de coïncidences bienheureuses, de hasard venu d’on ne sait où, de providence impénétrable. Chacun choisit ou croit, et pour cet homme qu’est Fernando Palha, croyant de tous les instants, se signant en démarrant la voiture, se signant en s’installant à table, se signant en revivant un pan de sa jeunesse, se signant en évoquant les amis partis trop tôt, il ne fait aucun doute que ‘Chinarra’ et ‘Tas-Ta-Rir’ sont le fruit d’une providence céleste que Dieu a mis sur son chemin en les sauvant l’un et l’autre. ‘Chinarra’ d’une mort annoncée et ‘Tas-Ta-Rir’ d’un destin anonyme, anodin, et, lui aussi, d’une mort prématurée.

Je ne sais pas s’il pleuvait ou non ce jour-là, si la terre était sèche et déjà un peu poussière, mais j’ai aimé illustrer le récit que m’en fit Fernando de cette image de campinos dressant dans l’horizon fumeux leur vara autoritaire pour conduire le troupeau de Rosa Rodrigues vers de meilleurs herbages. Dans la manade, les bêtes de Rosa Rodrigues couraient d’un rythme soutenu aux côtés de celles de Cabral Ascensão. Parmi ces dernières, gambadait — car les añojos gambadent plus qu’ils ne courent — un jeune veau berrendo en negro aparejado, comme l’était ‘Chinarra’, fils du défunt semental fasciste ‘Toalho’. C’était ‘Tas-Ta-Rir’. Dans le tumulte de la course, sous les cris rauques mais cinglants des hommes, le jeune veau, insouciant, audacieux, sûr de lui, chuta dans le cours d’eau attenant ; et rien n’y put, il fut emporté par les eaux.

« On aurait pu l’appeler Moïse ! » souffla dans un sourire António Palha en se remémorant l’événement. Car, comme le prophète sauvé des eaux du Nil, le veau s’échoua plus loin, miraculeusement, sur un îlot de la Quinta da Foz. Blessé à une patte, bloqué en un lieu d’approche complexe, il s’avéra difficile de s’en approcher dans les premiers temps. De toute façon, tout le monde se persuada que sa survie serait un miracle, et malgré la profonde foi de la famille, personne au fond de soi n’y croyait. ‘Tas-Ta-Rir’ survécut — je suis persuadé que les hommes de la Quinta da Foz l’y aidèrent sans problème —, et il fut convenu entre Fernando Palha et Rosa Rodrigues que ce dernier le récupérerait le temps venu.

Ce temps vint. ‘Tas-Ta-Rir’ avait poussé, grandi et était devenu un utrero qui annonçait force et majesté. Fernando Palha proposa à Rosa Rodrigues de venir le chercher, mais ce dernier déclina l’invitation et préféra offrir l’astado aux terres qui l’avait accueillit, soigné et rendu à la vie. Qu’il en soit ainsi et il en fut ainsi. Intrigué par ce toro dont la mise lui rappelait la mère de son royaume, Fernando Palha décida de le faire « tienter ».

« Deux fois ! Mon cher ami. La première à Vila Franca de Xira, puis une seconde dans les arènes de Santarém !
— Fut-il bon, au final ? Car vous ne saviez rien de ce toro, si ce n’est qu’il était le fils de ‘Toalho’ ? Et puis, il n’était en rien un Veragua.
— Oui, je savais de qui il était le fils et je savais bien qu’il n’était pas un descendant des Gama que je recherchais à cette époque dans tout le Portugal. Mais il était beau et, après tout, ses origines Pinto Barreiros étaient déjà présentes dans mon élevage. N’oubliez pas que ‘Chinarra’ se reproduisit avec des étalons de cet encaste.
— C’est vrai, mais dans le Durão, il y avait aussi un peu de Soler, me semble-t-il…
— Oh, mon cher ami, ce n’est pas faux, mais ce Soler avait été largement absorbé par les différents apports Parladé insufflés dès l’époque de Claudio Moura, lequel avait racheté l’élevage de la veuve Soler. Vous comprenez alors que ce toro, il fallait que je le teste. Il pouvait apporter un rafraîchissement intéressant dans mon élevage, un nouveau souffle en quelque sorte… »

‘Tas-Ta-Rir’ fut bon et même excellent. À Vila Franca de Xira, il plut à Fernando, mais à Santarém il emporta tous les suffrages par sa combativité à tout crin.

« Connaissez-vous les arènes de Santarém, mon cher ami ?
— Non, pas du tout.
— Eh bien, le ruedo de cette plaza est immense ! Mais immense, croyez-le bien. Je pense qu’il n’est pas loin d’égaler la taille du ruedo de la Maestranza de Séville.
— J’imagine bien dans ce cas…
— Il s’avère que, le jour où nous “tientâmes” une seconde fois le ‘Tas-Ta-Rir’, était présent un des frères Peralta. Vous connaissez les Peralta ? De très grands cavaliers, mon cher ami. Bref, je ne sais plus s’il s’agissait d’Ángel ou de Rafael, mais toujours est-il que le toro chargea durant plus d’une heure trente, toujours avec la même fougue malgré la fatigue. Imaginez-vous cela, mon cher ? Une heure trente ! Personne n’en croyait ses yeux. À la fin, je décidai de lui présenter un cheval de picador pour voir. Nous plaçâmes ce cheval d’un côté de la piste et ‘Tas-Ta-Rir’ le chargea sans hésiter ! Un monstre de bravoure. Après la septième pique, je demandai à ce que l’on place ce toro exceptionnel dans le couloir du toril, et le cheval à l’autre bout des arènes. Imaginez-vous la distance que cela représentait ? À l’appel du picador, il démarra en trombe et s’en vint se fracasser contre le peto ! Ce fut un immense moment de tauromachie, mon cher ami, immense !
— Oh, je veux bien le croire. Donc, ‘Tas-Ta-Rir’ devint semental de la ganadería des herdeiros de Maria do Carmo Palha ?
— C’était une évidence, mon cher ! Je ne pouvais pas ne pas utiliser ce don du ciel, et c’est lui qui a réellement donné une impulsion à l’élevage. Une impulsion sauvage !
— C’est une très belle histoire que vous venez de raconter là, Fernando… »

  1. Anne-Marie Répondre
    Cela valait vraiment la peine d'attendre, toujours formidable.

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