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Que reste-t-il de ces beaux jours ?

Cartel Fandino MadridLes Plaintes d’un Icare

Les amants des prostituées
Sont heureux, dispos et repus ;
Quant à moi, mes bras sont rompus
Pour avoir étreint des nuées.

C’est grâce aux astres non pareils,
Qui tout au fond du ciel flamboient,
Que mes yeux consumés ne voient
Que des souvenirs de soleils.

En vain j’ai voulu de l’espace
Trouver la fin et le milieu ;
Sous je ne sais quel œil de feu
Je sens mon aile qui se casse ;

Et brûlé par l’amour du beau,
Je n’aurai pas l’honneur sublime
De donner mon nom à l’abîme
Qui me servira de tombeau.

— Charles Baudelaire

Que reste-t-il de ces beaux jours de maxima expectación qui précédèrent la course ? Pour tout dire, quelques photos panoramiques et un tas de cendres. Cette corrida fit et fera parler pour l’ambition affichée de changer bien des choses, elle fera couler moins d’encre quant au déroulement des faits. Il n’y a guère débat ; ce fut un désastre

Ma perception des choses : Iván Fandiño apparut décidé (c’est heureux) lorsque commença la course. Le Pablo Romero, de grand trapío quoique de mensurations légères, balada son port de tête altier mais guère flexible sous les applaudissements de la foule. Il s’avéra quasi invalide et faible. Le torero basque insista comme pour maintenir l’élan et la volonté, et aurait lassé en d’autres circonstances.

L’Adolfo, typique de la maison, sortit ensuite et fut accueilli par des véroniques dans 2 mètres carrés de terrain aux tablas, mais démontra vite faiblesse et fadeur. Fandiño cita de loin, comme cet autre Adolfo blando il y a deux ans dans ces mêmes arènes. Le public restait dans la course, Fandiño ne tuait pas, certes, mais n’avait pas eu de toros à même de montrer quelque chose.

La sortie du Cebada Gago, de présentation discrète, passa inaperçue après les têtes très impressionnantes des deux premiers. Le toro, querencioso, piqué au vif et au propre près du toril lors de la première rencontre, laissa croire aux plus optimistes qu’il y avait peut-être à chercher dans cette zone-là. Las, ce ne fut pas le cas.

Le destin finit par passer la tête par le toril, en la personne d’un toro de José Escolar, qui permit à la cuadrilla de se mettre en valeur au cours des deux premiers tiers. Le toro partait de loin au cheval. Un espontáneo crut pouvoir donner à la fois des passes et une excuse à la suite des événements au moment des banderilles, mais la cuadrilla annihila ses velléités. L’Albaserrada démontrait une vraie présence en piste et on allait enfin voir et savoir. Fandiño l’entreprit dans les tercios du « 6 » sans donner de distance ni l’impression de croire en son placement. Le public semblait interloqué, la suite lui donna raison. La faena s’effilocha, Fandiño subit un désarmé (de plus), la chance venait de passer. Le toro d’Escolar n’avait rien du bonbon avec une finca sur chaque corne, mais permettait sans nul doute de livrer un combat âpre et héroïque, de ceux que l’arène était venue voir. Il n’y eut rien et l’homme d’Orduña perçut lui aussi que le train ne repasserait pas.

Science-fiction au cinquième avec un Victorino renversant le cheval et y retournant pour se faire proprement assassiner. Une blessure à la patte (?) le renvoya au toril. Un cousin Adolfo le remplaça, mais mon pertinent voisin, Sylvain Fraysse, me glissa que plus personne n’espérait quoi que ce soit de la course. Son langage corporel trahissait le matador, son agacement et, surtout, son sitio et sa concentration envolés. Moins faible que le deuxième, l’Adolfo n’avait rien d’un grand toro.

Le Palha en finit avec la soirée et nos illusions. Vilain, il déclencha à sa sortie les protestations du respectable, passablement déçu de la tarde. Il déploya ensuite une vraie (belle ?) mansedumbre, de celle dont on sculpte les souvenirs si l’on veut se jouer la peau. Fandiño, lui, n’avait plus que son amertume et abrégea, son visible énervement achevant de faire résonner les quolibets dans la grada du « 7 ». Quelques coussins jonchèrent le sable tandis qu’il quittait le ruedo sous les opinions divisées d’un public partagé entre déception légitime et reconnaissance du geste avorté.

Que dire de plus ?

Que ce fut un exploit de fermer les guichets madrilènes en mars et que la preuve fut faite que lorsque le cartel a de la gueule, notamment avec des élevages de toros, les gens mettent la main au portefeuille, non seulement pour entrer aux arènes mais aussi pour venir de France et de toutes les régions espagnoles pour l’occasion. L’arène bruissait au soleil déjà glorieux de la rumeur caractéristique de l’attente des grands rendez-vous : entassés les uns sur les autres, tout ce petit monde fumait et picolait de bon cœur.

Que Fandiño a raté un rendez-vous de plus avec la plaza madrilène où la plupart de ses sorties, malgré son indéniable volonté de s’y faire consacrer, se soldent par un goût d’inachevé. On peut toujours mégoter sur les toros qui, s’ils n’offrirent rien (les veedores du Basque n’ont vraiment pas le nez creux), avaient de quoi participer à une grande démonstration de lidia. De lidia, il n’y eut guère : placer un toro loin du cheval n’est pas une fin en soi et les mises en suerte laissèrent pour la plupart à désirer dans leur décision et leur précision (combien de toros allèrent au cheval sans avoir été arrêtés auparavant ?). Il y a beaucoup à redire sur les choix des terrains, de la distance et du placement au troisième tiers. Quant aux aciers, le terme de laborieux présente l’avantage de sortir celui d’euphémisme de la naphtaline. Dans l’escalier qui nous ramenait au monde standardisé, nous nous demandions après pareille déconvenue comment le Basque allait pouvoir retrouver sitio et confiance pour la saison qui commence.

Reste le geste, insensé et magnifique d’ambition, et l’espoir d’un triomphe absolu et incontestable. L’on n’entre pas en tauromachie comme l’on devient chef de produit chez Bonduelle.

Qu’il lui soit beaucoup pardonné !

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