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Había una vez un circo

Dimanche 16 août 2015, Tafalla (Navarra) — 6 toros de Saltillo (portant le fer de Moreno de Silva) pour Iván Vicente, Damian Castaño et Javier Anton.
‘Loquillito‘, n° 42, février 2011 ; ‘Lemanoso‘, n° 4, décembre 2010 ; ‘Sandiero‘, n° 12, février 2011 ; ‘Olivero‘, n° 8 , décembre 2010 ; ‘Ruidón‘, n° 39 , janvier 2010 ; ‘Banderillera‘, n° 28, mars 2010.


Joaquín Moreno de Silva annonce désormais ses toros sous le nom de Saltillo (fer et élevage rachetés à Enrique Moreno de la Cova il y a peu), le 16 août à Tafalla, les 6 toros sortirent avec le fer Moreno de Silva et la devise ciel et blanc de Saltillo quoiqu’en disent certains médias taurins qui distinguent deux fers différents dans la corrida donnée en Navarre. Sauf erreur de ma part, cette année les Saltillo ne sortiront que deux fois en corridas, le hasard fit que les deux lots furent lidiés en même temps à Cenicientos et Tafalla*. J’imagine la frustration du ganadero

Nous n’avions pas vu de Moreno de Silva depuis quelques années, le retour en hype de l’élevage en France voici quelques années fut de courte durée : les méchantes mantes religieuses asaltilladas des novilladas de Madrid et Carcassonne avaient laissé place à Céret à des novillos puis toros sérieux mais gonflés plus dans le type Santa Coloma/Buendía. Tafalla propose une feria 2015 sérieuse annoncée « toro-toro » sur les affiches et en plus d’une corrida de rejon-quinté-plus, trois corridas à pied étaient au programme avec les fers prestigieux de Dolores Aguirre, Saltillo et Carriquirri.
Nichée dans la Navarre aride depuis 50 kilomètres environ, Tafalla n’a pas la taille ni le patrimoine historique et religieux d’Estella et comme sa voisine elle vit dans l’ombre tutélaire de l’immense Pamplona voisine. Le public semble majoritairement local : autour du 15 août, les fêtes et les jeux taurins ne manquent pas en Navarre (Falces fait dévaler ses vaches de la montagne, Lerín a connu un drame lors d’un spectacle de recortadores). Le matin se court un encierro un peu moins long que celui de Pamplona avec les toros de la tarde. Dans les corrales, embaume le basilic disposé en bouquets conférant un parfum plaisant à l’efficace enchiqueramiento de midi, le long du parcours qui mène au labyrinthe de cours où attendent les toros, les affiches des années précédentes évoquent les quarante dernières férias environ. Il est amusant de découvrir que César Rincon était au programme en 1984.
Si le 15 août tous les toreros toréent, que dire du 16 lorsqu’il s’agit d’un dimanche ? Javier Anton d’un autre coin de Navarre avait emmené avec lui tout un fan club pour sa première corrida de l’année. Iván Vicente venait de ressusciter au chaud soleil de Las Ventas le dimanche précédent et le mundillo bruissait du temps perdu à ne pas avoir pu profiter de son toreo de bon goût sur le sable venteño. Quant à Damian Castaño, frère de, je n’avais eu l’opportunité de le voir qu’en tienta et me rappelait qu’il avait fini par prendre l’alternative. Les toreros du cartel affichaient la somme faramineuse de sept corridas toréées à eux trois avant celle-là en 2015.
Le patio de caballos est accessible à tous, les toreros vous demandent si votre montre est à l’heure (elle avance) alors que par l’ouverture de la porte des cuadrillas tombent des gradins des peñas des objets qui donnent un bruit de verre cassé en s’éclatant au sol. C’est amusant, dépaysant pour le moins.
Saltillo ne dit rien qui vaille aux toreros de ce siècle, les lidias sont approximatives, les toros assassinés sous le regard assez indifférent du public du lieu : mon voisin de barrera me remplit un gobelet en plastique de Ron-Kas et me raconte qu’un jour de bronca, Ortega Cano sortit par la porte de l’infirmerie pour ne pas avoir à faire aux gradins déchaînés. Je crois alors me souvenir avoir vu un jour l’estafette du même Canette quitter les arènes d’Arles sous les coups de plat de main d’une dame véhémente et excédée par la prestation lamentable (ou pathétique ?) du maestro de Cartagena.
Le lot de toros est sérieux donc, les cornes restent intactes, la paire la plus abordable, la plus châtiée peut-être ou pour le moins avec le plus de fond fut celle de Javier Anton qui serait certainement sorti par la grande porte avec un maniement plus sûr de l’acier. Le Navarrais toréa crânement, en forçant un peu la posture malgré une allure naturellement torera, il effectua une vuelta al ruedo légitime au troisième. Auréolé de sa « renaissance » madrilène qui devrait lui permettre de revenir en feria**, Iván Vicente n’était pas venu pour alimenter les reseñas taurines du lendemain : deux queues n’y auraient pas suffi et surpasser Jimenez Fortes dans l’horreur du week-end marial aurait été fatal. Dans le doute de la nécessité du parte médico pour asseoir sa notoriété et avec l’assurance que tout écho « artistique » se perdrait dans les plaines sans arbres de la Navarre, le chef de lidia ne tâcha pas son costume, proposa un toreo distant, vulgaire, superficiel et inutile.
Le sort fit que l’espace-temps se modifia le temps des deux combats du cadet Castaño. D’aucuns disent qu’il y a des jours comme ça… Heureusement, ils sont rares. Le premier toro du Salmantino prit le picador par surprise à la première rencontre, contourna la monture par devant, brisant la garrocha et s’en fut clouer le cheval par la fenêtre destinée à l’éperon. Une fois le toro éloigné, le monosabio jeta un rapide coup d’œil pour emmener le malheureux canasson au patio où il fut piqué (en ces temps de remise en cause de la légitimité d’être aficionado par des groupes extrémistes se proposant de mieux régir le bien et le mal, il convient de dignité conserver et vous avez par conséquent échappé au titre « car tu es lasagnes et tu retourneras lasagnes »). Débordé par les éléments et la mauvaise caste du toro, Damian Castaño fit mal ce qu’il put, au point de récolter quelques sifflets de la part d’un public assez indifférent pourtant. Le pire était à venir : ‘Ruidón’ était le gris clair du lot avec une tête très asaltillada et un guichet à faire réfléchir à laisser sa place au suivant avant de s’y présenter. Le genre de trapío qu’on n’oublie pas, les toreros diraient « sale gueule » j’en suis sûr. ‘Ruidón’ avait déjà eu la bonne idée de faire parler de lui en donnant les pires peines du monde (qui n’en est pas avare en ce moment) au personnel chargé de le faire rentrer aux corrales après le desencajonamiento (il m’a semblé voir sur une affiche qu’on disait desenjaule aussi dans ces contrées). Son physique différent, sa malveillance apparente et sa cohabitation difficile avec ses frères avaient aiguisé la curiosité du bled qui l’attendait impatiemment. Il semble en outre que sa détestable sociabilité lui avait épargné le jogging matinal dans les rues. Bref, ‘Ruidón’ était la légende de la semaine. La clairvoyance du torero au moment de commencer sa faena fut de prendre l’épée sitôt achevée la première passe… Il lui faudrait bien longtemps pour venir à bout du Saltillo.
Nous étions donc revenus à des temps immémoriaux où le troisième tiers se résumait à réduire et tuer un toro, sauvage et terrifiant. Épée en main, Damian évoqua plutôt Curro Romero (dans ses mauvais moments) que Mazzantini. Probablement pour la bonne raison que le premier lui est plus contemporain… Pendant 10 minutes il fut question de survivre, de vaincre sa peur pour coller une épée dans ce satané taureau, peu importe de quelle façon et dans quelle partie du bifteck. Si nous voyagions dans des souvenirs inconnus et des époques révolues, le présent se faisait intense pour le Salmantino. Inutile de dire qu’en pareilles circonstances, il s’avérait bien inutile d’espérer trouver une quelconque sympathie, une espèce de compréhension, un vague soutien ou même une pudique indifférence de la part d’un public ravi du désastre, prétexte à tous les déchaînements. Il est cruel (un peu honteux) d’admettre que pendant que le gamin suait sang et eau, la créativité du « respectable » pour lui rendre la tâche plus difficile encore se révéla vraiment amusante. Le trombone d’une peña se mit à imiter un jingle « mauvaise réponse » de jeu télévisé (« pom pom pom pooom »), le soleil se prenait à espérer que le toro amenât le torero dans son secteur pour le tenir à sa portée. Quand celui-ci parvint aux derniers arpents ensoleillés, le secteur des peñas commença par entonner « había una vez un circo » (que mon sympathique dealer de Rhum citronné et gazéifié m’expliqua être la chanson de générique d’une vieille émission de clowns) pour finir par faire pleuvoir un déluge de grêle sur le torero désemparé. Passé la merienda, on n’hésitait pas à sacrifier les glaçons. La scène y gagna en inoubliable ce que le Gin Tonic y perdit en fraîcheur. La scène était abominable et désopilante.
La sortie sur ses pieds du torero avec pour seule blessure celle de son amour-propre nous permit de rire de tout ça pendant le trajet retour.

Épilogue dialogué : sur le sus-nommé trajet retour, à l’heure où s’embrume le relief et fraîchit la nuit de la Navarre septentrionale et humide, il fut question de dévorer une baguette généreusement remplie de tortilla. Une fois l’entorse aux bonnes résolutions alimentaires accomplie, alors que nous quittions le restau de la gasolinera taurine, nous tombâmes nez à nez avec le sosie torero de Jack Palance : Diego Urdiales. Ni une ni deux, je lui tends la main et lui demande où il avait toréé ce jour. Apres m’avoir expliqué qu’il avait tué une corrida de Victorino « qui manquait de fond » dans l’ambiance gymnasiale d’Illumbe, il s’enquit poliment de la corrida à laquelle nous venions d’assister.
– Tafalla !
– (moue dubitative, l’œil torero s’éclaire d’un éclat froid et vaguement inquiet, le genre requin blanc traqué)… Et quoi à Tafalla ?!
– Saltillo pardi !!
– (Grimace franchement dégoûtée) Pouah ! Y que tal la corrida ? Malísima, no ?! (A noter que l’emphase sur l’accent tonique du premier « i » de « Malísima » point culminant non seulement du mot mais également de la phrase paraissait traduire le franc rejet en même temps que la sincère spontanéité de la réponse)
– (sourire amusé) Pueeees no… O quizás para el torero, sí !
Quelques banalités polies plus loin nous laissâmes le maestro rejoindre son autre nord alors qu’hilares nous reprenions la route en imaginant que nous lui avions filé des cauchemars pour la route.***

Notes :
* erreur de ma part : il y aura une course de Saltillo à Madrid en septembre pour le cycle des « encastes minoritaires »
** Les bruits les plus récents de la presse spécialisée laissent à penser qu’en fait de feria, Iván Vicente toréera la course du 12 octobre à Madrid avec Javier Jímenez, autre lauréat des corridas d’été de Las Ventas
*** décidément, toutes ces péripéties se terminent bien : la presse a reconnu à Urdiales bien des qualités face à son premier Victorino donostiarra ce jour désormais lointain et le torero a coupé 3 oreilles cette semaine à Bilbao, sortant en triomphe d’une corrida multicolore d’Alcurrucén, prouvant ainsi qu’il s’était bien remis de l’évocation des Saltillo dans la brume navarraise. Nous nous en réjouissons !

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