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Automne, doutes et controverses

IMG_3127Quitter Madrid restera toujours un déchirement et un réveil avant 5h, une torture. Il pleuvait abondamment sur la capitale lundi matin, comme si le ciel sifflait la fin de la fête. Les quelques rafales charriant les ondées dans la nuit permettaient de relativiser les quatre jours de fête et la petite déception au moment de tirer le bilan de la feria automnale : le ciel avait été parfois menaçant mais finalement clément et un simple pull-over avait suffi pour nous accompagner le long des inattendus des nuits madrilènes. Nous n’avions pas de raison de nous plaindre de notre traitement. Tout est relatif, finalement.

Lorsque tombe le dernier toro (de la temporada pour beaucoup) commence le pénible chronomètre des dernières heures sur place avant l’enchaînement des harassantes étapes d’un voyage aérien et ne reste que le terrible choix de filer dormir vite ou de porfiar encore entre les bonnes adresses trop habituelles. Les derniers plats et les derniers verres – pour lesquels l’on a comme toujours finalement opté – s’alourdissent d’une vague culpabilité angoissante quant au manque de sommeil qui nous guette. Le lendemain n’est pas si terrible : tout passe et une fois encore, « on a été plutôt calme cette fois » ; comme cela n’est plus une vraiment une exception, il est possible que l’on se fasse vieux. Dans le pessimisme ambiant, l’on tire un bilan forcément négatif de la saison qui vient de finir. Lundi matin, le blouson humide sous les lourdes arcades de la poste de la Cibeles où l’on attend le bus jaune, il est temps de relativiser puisque l’on est vivant et réveillé et surtout parce qu’il faudra revenir à Madrid, avec du linge propre et des illusions.

A force d’en parler, d’en lire, je n’écris pas, je suis assailli de doutes. Surtout ne pas regarder les videos… trop tard ! Le parcours en afición est un chemin tortueux que l’on se doit de paver de modestie. Dimanche soir, quand le ‘Rosco’ légendaire du 7 est descendu pour jeter son blouson aux pieds de Paco Ureña donnant une légitime vuelta al ruedo, j’avoue m’être demandé si je n’étais pas passé à côté de quelque chose. Cet événement que je viens traquer à Madrid, sans relâche année après année et qui ne pointe pas plus son nez qu’un Tartare dans la mer des Syrtes. Cet événement c’est la rencontre du grand toro avec le grand torero, qui feront voler en éclat la Grande Porte, s’écrouler le temple et ouvrir le ciel d’où tombera un halo de lumière pour couronner le nouvel Élu. D’un grand coup de trampoline madrilène (imaginez l’immense ruedo comme tel) le Messie s’envolera alors au firmament pour se répandre en une ribambelle d’arènes pour les siècles des siècles. De mon côté, je pourrai chanter ses louanges et partir à sa suite proclamer que je l’ai « vu » à Madrid pardi et avec un toro en plus, hé !

Il y a deux ans Fandiño venait pour finir de tout casser et prendre de force le sceptre d’une poigne légitimiste : celle qui passe par la conquête de Madrid. En a-t-il jamais été ainsi ? Pas forcément mais oui quand même… Rincón, Tomás ! Dans le doute, autant prendre Rome plutôt que d’aller toréer des becerros à la feria de Capoue. Deux ans auparavant, Fandiño venait donc finir le boulot. Mais comme d’autres ont vu Hambourg en voulant voir Anvers, c’est le Cid face à ‘Verbenero’ de Victoriano del Río qui marqua les esprits de ceux venus voir Fandiño, renvoyant le Basque et son appendice du troisième toro aux oubliettes. La vie était alors déjà injuste.

Cette année, López Simón affichait deux grandes portes au compteur et avec deux contrats automnaux pouvait caresser le rêve de rejoindre dans les tableaux de statistiques (quel mot hideux dans pareil contexte) l’inaccessible miracle colombien de 1991. Nous y reviendrons.

La feria débuta jeudi par une dispensable novillada du sus-nommé César qui n’offrit aux novilleros venus se présenter (Filiberto) ou confirmer une bonne impression (Marcos et Galdós) que peu de possibilités de se distinguer. Faible, très faible, de caste et de race infime, le spectacle eut le mérite de ne pas durer trop longtemps. Filiberto et Marcos laissèrent entrevoir qui, un brin de style et qui, une touche de classe, Galdós ne laissa pas passer la possibilité de bénéficier d’une excuse. La nuit s’annonçait calme, la fatigue aidant. La tempête n’en fut que plus violente.

Vendredi, le mano a mano Urdiales – López Simón divisait les attentes : les Classiques espéraient voir le maestro d’Arnedo trouver son toro Alcurrucén de Bilbao dans la capitale, les baroques attendaient López Simón, venu sur les terrains de Tomás prendre place sur le piédestal de Rincón. Je caricature bien évidemment. La curiosité de bon aloi avant tout avait rempli les arènes. Le tendido 5 ensoleillé avait été investi par les paisanos de López Simón, venus de Barajas pour voir le fils du pays prendre son envol. Pas plus à Barajas ou Madrid qu’à Orly, la vie ne fait de cadeau : le lot du Puerto de San Lorenzo était non seulement vilain, sans trapío aucun (un comble) mais surtout mauvais. Le cousin de Valdefresno, hideux bison basto sans cou, complétait un troupeau digne de bouffer la soupe froide en faisant des grands « fiiioouuu ». Et puis, il n’y eut pas de Frida et Urdiales sans matériel et victime de circonstances à contretemps classa par pertes et profits un effort inaperçu au 3 pour rentrer chez lui, lourd d’une amertume aussi probable que légitime. Les circonstances, López Simón s’en rit, s’en joue et s’en sort : ouvrir une grande porte et toucher les gradins avec un lot aussi infumable constitue un exploit laissant à penser que la carrière du petit a de l’avenir. Le 2 est un boeuf qui se couvre, gratte et recule de plusieurs pas quand le torero le cite pour finir par charger. La faena se poursuit aux tercios et tablas du 6. Imperturbable, López Simón donne des passes à ce toro, mais subit une voltereta évitable sur une faute de (re-)placement qui lui laisse une cornada de 12 centimètres dans la face postérieure de la cuisse gauche. Le visage défait, boitant bas, pâle comme la mort, le torero « pincha » puis tua avant de rejoindre l’infirmerie alors que la cuadrilla recueillait une oreille un peu émotive. Sortirent en 3 et 4, les 3 et 5 dont le pou de Valdefresno pour Urdiales. Alors que celui-ci en finissait avec le 4, López Simón reparut et la plaza se mit à rugir. Le 5 (qui était le 4, suivez !), un manso cherchant les planches du toril. Qu’à cela ne tînt, López Simón s’en fut le défier dans sa querencia et lui administra notamment deux séries de la droite qui mirent les arènes en transes. Peu à gauche. Estocade opportuniste mais pleine d’à propos recibiendo (légèrement delantera si l’on veut pinailler). Orgie de mouchoirs dans les gradins, pétition de deuxième oreille. La seule première maintint le rang de la plaza et « validait » la grande porte. Le sixième sortit dans l’attente générale, mais alors que l’on dédiait sa mort prochaine au public, celui-ci se brisa la patte et le torero (demandant pardon de façon un peu ridicule) n’eut d’autre choix que d’achever ses souffrances. Le public porta en triomphe le torero dont le chemin pour l’hôpital se fraya sur les épaules et sous les arcades mudéjars de la Puerta Grande de la première plaza du monde. Devant nous, un abonné à feutre cordouan tempérait : « on lui régale trois grandes portes cette année, dont deux sur l’émotion d’une blessure ». De fait, si la mémoire garde le courage de López Simón (et le commerce de son sang), elle peine à imprimer les meilleurs moments de toreo de la tarde.

Samedi, la politique du pire qu’applique cyniquement Bachar dans la lointaine Syrie trouvait des échos dans le mundillo madrilène. Fort heureusement, au moment de remplacer Alberto López Simón aux côtés de Uceda Leal et Eugenio de Mora, l’empresa se contenta de bombarder l’alternative de Gonzalo Caballero averti la veille au soir. Après de nombreuses prestations madrilènes (dont une en 2013, je crois, m’avait laissé une impression télévisuelle intéressante) en dents de scie, le jeune hincha de l’Atletico se trouvait à revêtir son costume de novillero blanc et argent pour passer son doctorat à Las Ventas devant un lot fétide et inégal de présentation de Vellosino, surpassant en crasse le défilé déjà pénible des toros des jours précédents. Les aficionados s’indignaient du traitement qui leur était réservé et nombreux furent ceux qui demandèrent le remboursement de leur billet avant la course. Le Madrilène fut pourtant bien, décidé et ferme, surtout à son premier, récitant crânement et avec application les préceptes du toreo que l’on valorise dans ces arènes : aguante, placement, croisement, remates de bon goût et toreros. Le toro fut de peu à pire, la faena baissa et l’épée faillit. Un juste mais fort salut récompensa le labeur consciencieux et volontaire. Au 6, le toreo à la véronique fut de grande facture, la faena en revanche assez décousue : optant pour un parti pris tremendiste face à un boeuf insipide, il sembla que Gonzalo Caballero s’exposait pour voler et mettre ainsi le public dans sa poche. Le toro, ayant renoncé à tout comme d’autres avant lui, le laissa heureusement indemne. Uceda Leal, grand tueur, tua de façon sûre et toréa prudemment. La posture d’Eugenio de Mora laissait penser que celui-ci pouvait souffrir du dos. Il témoigna en sa qualité de témoin du jour de la même prudence que le chef de lidia. Deux derechazos très isolés et rectilignes mais en baissant la main et relâchés laissèrent une vague empreinte.

Dimanche arrivait déjà pour les visiteurs contraints de rentrer le lendemain et arrivait enfin pour les aficionados portant leur croix de déjà 9 tonnes de toros insipides. Adolfo au cartel, Rafaelillo très attendu depuis le 4ème toro de Miura en juin, Fernando Robleño et Paco Ureña, triomphateurs du nord de la péninsule.

La corrida était inégale de type (le 3 dans le travers avacado et cornivuelto de l’encaste) et de poids mais globalement sérieuse. Elle s’avéra dure, faisant planer le danger tout au long de l’après-midi. Le 6 fut un bon toro, permettant le triomphe mais pas un grand toro. Rafaelillo semble dans la plénitude de ses moyens, les toros pour vicieux qu’ils soient ne semblent pas pouvoir le toucher. Son toreo de cape est mobile et efficace, sa muleta également mobile mais élégante quand l’occasion se présente de pouvoir se laisser aller à un changement de main, un desprecio, un peu de temple. Ca et là, passèrent des éclairs de ce toreo soyeux qui semblent s’apaiser par éclairs. Ne blâmons pas les amateurs d’oxymores : Rafaelillo a reconquis un cartel à Las Ventas. Robleño ne semble pas dans le meilleur moment de sa carrière : sa muleta est moins puissante et plus pa’fuera, il refuse souvent de lier la deuxième à la première et ne semble plus croire qu’il y a un triomphe à forcer. Sa prestation ne passera pas à la postérité.

Restait Ureña : un drôle de type : un pantin lunaire à tête de Mario Draghi (grand dépendu d’andouille dirait-on à Lyon) semblant parfois embarrassé de ce corps qu’il expose généreusement. Le 3 n’avait rien de facile mais mettait à l’occasion la tête comme les meilleurs exemplaires de son encaste, ne fût-ce que pour des raisons physiques tant les cornes étaient en arrière. L’âpreté de l’animal accrocha plusieurs fois la serge rouge, à moins que celle-ci, trop souvent accrochée ne conforta ladite âpreté dans ses travers. Avancer la jambe est une chose, mais au point de reculer la muleta en est une autre. Une certaine maladresse causèrent quelques accrochages qui valurent au natif de Murcie de passer par l’infirmerie. De retour pour le 6, le torero trouva le meilleur toro de la course, et sans grande difficulté de la feria, et n’eut de cesse de parvenir à donner peu à peu le toreo gaucher le plus vrai, engagé et sincère des quatre jours. Petit à petit, prenant la mesure de ce toro exigeant mais noble, la faena parvint à quelques séries de naturelles de face, jambes légèrement écartées, torero croisé et abandonné qui firent hurler de bonheur les tendidos. Pourtant, alors que le torero, conscient du possible basculement qui s’opérait alors pour lui, se mettait à pleurer à chaudes larmes entre les séries, que son toreo s’engageait avec sincérité et aguante, il me sembla qu’en dépit de l’émotion de voir un homme offrir son corps à une arène, il manqua quelque chose à cette oeuvre pour parvenir au rang des faenas historiques : ce quasi-sacrifice conjugué à une certaine forme de maladresse, le manque de clairvoyance pour donner un peu de distance à un toro qui semblait la demander et pouvoir la supporter me parurent être les causes de l’inaccomplissement d’une faena qui aurait pu consacrer son auteur comme figure du toreo. Il n’y eut pas le suave des naturelles du Cid (et l’exquis vuelo des remates), le calme froid de celles d’Urdiales, le dominio de Perera en 2014, ni la beauté de la main gauche du Sergio Aguilar de Vic il y a trop longtemps. Ce fut autre chose, plus sincère probablement, mais moins maîtrisé ou abouti, un peu désarticulé et désordonné. Un beau moment auquel il manqua ce je-ne-sais-quoi qui vous envoie à la postérité. Lorsque l’épée ôta au torero tout espoir de triomphe et que les larmes devinrent amères, resta la légitime vuelta al ruedo fêtée par un public heureux de ne plus s’être ennuyé pendant deux heures et reconnaissant pour tant de vérité. Paco Ureña a, sans nul doute, gagné un cartel important et périlleux à Madrid, lui suffira-t-il à passer les frontières ? Puisque tout est relatif et que le moment est par définition présent, il était probablement dommage de se poser alors tant de questions.

  1. anne marie Répondre
    J'ai d'abord mis mes grosses lunettes. C'était long ! Sans succès. Alors j'ai imprimé. Une merveille. Belle fin de temporda.

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