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Pâques Arlésienne

arlesLa saison s’annonce passionnante, tout le monde est d’accord là-dessus : les jeunes frappent à la porte derrière laquelle les figures fument le cigare et boivent du sherry dans de profonds fauteuils en cuir. La porte cédera et d’ici quelques mois nous verrons bien qui se prélassera dans les vapeurs d’alcools et les canapés club. La saison s’annonce passionnante donc car après avoir photocopié des années durant des cartels, les arènes mettent les jeunes et les vieux en concurrence, espérant réveiller un peu ce petit monde et le public à l’heure d’ouverture du guichet. Les vieux et les jeunes… mais pas les anciens et les modernes. Les vieux sont modernes depuis bien longtemps, probablement post-modernes et les gamins conservateurs et respectueux du sens de l’histoire, pas réactionnaires ni révolutionnaires pour un sou, y’a plus d’jeunesse !

Dimanche à Arles, Roca Rey, prodige de moins de 20 ans venait se frotter au capo de tutti i capi : le Juli en personne, en mano a mano. Les échos valencians semblaient dire que pour les « demi-finales », le Péruvien avait surclassé Talavante pour jouer le titre contre le Juli qui, lui, avait disposé de Lopez Simon. C’était une façon intéressante de voir choses et de trouver le chemin des arènes sous la pluie finissante qui avait causé l’annulation de la novillada du matin. Ainsi qu’à Valencia où les lots d’Adolfo initialement prévus pour les recortadores le matin et la corrida le soir avaient donné lieu à des échanges, l’on peut se demander si le lot de la corrida du dimanche de Pâques n’avait pas pioché dans celui de novillos du matin. A l’exception des décents 1 et 6, Daniel Ruiz avait envoyé un lot ridicule de présentation et de naïveté, ces lots de faire-valoir qu’on finit par éviter quand on choisit ses corridas et qui ôtent toute émotion et légitimité à la fiesta.

L’affrontement espéré n’eut pas lieu, tant entre les toreros qu’entre les bêtes et les hommes. La corrida moderne, longue et mécanique semble un acquis et Roca Rey fait d’ores et déjà partie de la « famille ». Le Juli se contenta d’un quite (je crois) à son premier toro, deux Chicuelinas distantes en envoyant le toro valser dehors, une cordobina toujours empreinte de toreria et une demie. Roca Rey était venu avec cette volonté de ne « pardonner » aucun quite et s’en fut donner le sien (le début d’un festival qui dura toute la corrida). Au second toro, le Limeño donna un quite à la première pique et… après la seconde, le Madrilène ayant renoncé à prendre son tour. La suite de la corrida fut de cet acabit. Roca Rey coupant 1 et 1 oreilles, le Juli en rafla deux d’un coup au 5 : les statisticiens se réjouiront, je m’ennuyais sec. Le Juli, même dépouillé de « ses fantaisies à la cape et aux banderilles pour épurer et approfondir son toreo » selon la propagande du début des années 2000 n’a toujours pas l’art pour toréer sans toro, pas plus que le Peruvien semble-t-il. La corrida consista donc en un concours de dressage de cornus préservés à la pique, sans fond ni race, suffisamment bien élevés pour ne se coucher qu’après une épée ou un « julipié ». À ce jeu de dressage de toros stupides, les deux toreros sont des maîtres, détenteurs chacun d’une science et d’une technique à rendre baba 90% de l’escalafon, les meilleurs fauconniers émiratis, les plus grands montreurs d’ours slovènes, tous les charmeurs de serpents de Rudyard Kipling jusqu’à Marrakech, Kevin Costner dansant avec les loups et je ne sais qui avec ses raptors dans « Jurassic World »… Associé à ce talent, la volonté de « passer » un répertoire comme d’autres tentent de passer des triples axels ou des quadruples boucles piquées : depuis que Talavante l’a remise au goût du jour en 2015 à Madrid, tout le monde se fend de son arrucina, on ne compte plus les passes changées dans le dos, fussent-elles données le cul rentré et le genou ployé sur la pointe des pieds, la jambe contraire est systématiquement en arrière pour enrouler le toro, tout tourne, vole et virevolte et quand vraiment ça semble trop facile debout, Roca Rey colle une paire de manoletinas à genoux. Le lot fut conforme à ce qu’en attendaient les toreros et ce que pouvait craindre les aficionados : dociles et faciles, de ces toros qui permettent de tourner toute la saison (l’accident viendra probablement d’un extraño lors d’une passe acrobatique trop serrée et « confiée »). Si le politburo et le comité de rédaction du site me le permettaient, je filerais volontiers la métaphore pornographique en disant que cela évoque une bande de jeunes néo-pratiquants ravis de réaliser eux-mêmes en « vrai » avec des jeunes filles compréhensives tout ce qu’ils ont préalablement vu dans les films.
La concurrence aura probablement lieu mais il ne semble pas que quelque torero de la nouvelle génération prétende porter le défi sur les terrains des toros de respect. La partie se jouera sur la régularité du triomphe et les oreilles arrachées à des animaux niais tout au long de la saison, le « taylorismo » et le « fordismo » ont de beaux jours devant eux et nous irons ailleurs pour ressentir un peu de frisson à la sortie d’un toril ou d’émotion au remate d’une série de passes.
Aussi technique, dominatrice, savante et puissante soit-elle, cette pratique de la tauromachie élevée au rang de dressage, de performance et jonglant avec les concepts de régularité et de rentabilité, comme développée dimanche soir, n’a rien à voir avec la beauté du toreo ni la lidia d’un toro bravo. J’ai probablement tort, mais c’est mon opinion.

Lundi soir, le duo Pedraza de Yeltes / Juan Del Alamo qui fonctionne plutôt bien depuis quelques saisons était de passage sur les bords du Rhône. Quelques langues indiscrètes nous avaient annoncé un lot d’arène de troisième catégorie. Dérivant du Pilar, annoncé comme du Domecq sélectionné sur la caste et la mobilité, les Pedraza de Yeltes sont souvent rouquins et hauts dans un type assez laid que la course du jour n’aura pas contredit. Assez inégal de présentation, le souvenir des ersatz de la veille auraient pu faire paraître ce lot de toros pour des monstres de puissance et de bravoure. Mais comparaison n’est pas raison, tout au plus consolation. L’envoi fit globalement le boulot face à la cavalerie avec quelques belles poussées au premier tiers mais rien d’extraordinaire, de véritablement violent ou de constant. Escribano fit le cirque comme à son habitude, facile ou vulgaire, c’est selon. Il n’imprime globalement rien d’autre qu’une certaine assurance que ne fait que confirmer la marge avec laquelle il torée et pose les banderilles. Pico, toreo périphérique, distant, il cachetonna dans le style de la maison. À ce rythme-là, la banque peut lui consentir un prêt pour payer la sienne sans risque d’insomnies.
Juan Del Alamo est un torero technique et d’une élégance un peu froide mais nanti de cette riche faculté de tirer la quintessence du toro moderne moyennement motivé (j’aurais dit beaucoup moins bien si son mozo ne nous avait pas régalé une invitation, bien évidemment). Il en donna la démonstration au cours de ses deux combats. Le premier lui valut une oreille protestée mais insoupçonnée dix minutes auparavant. Il apprit au 6 ébahi qu’il avait un semblant de charge et s’appliqua à la lui allonger. Il perdit un possible appendice après une mise à mort laborieuse (un défaut de vision nous dit-on) face à un Pedraza essoré qu’il finit par coucher d’un descabello 1 minute et 55 secondes après la sonnerie du deuxième avis (on s’ennuyait un peu tout de même).
Pas de corrida à Arles sans Grande Porte et ce jour ce fut le fin torero arlésien Thomas Joubert qui sortit sur les épaules. Sa mise et son physique sont surannés, son toreo codillero lui vaut souvent les bousculades des adversaires qu’il veut enrouler en tirant le coude dans la dernière partie de la passe, sa pratique qu’on devine rare peut expliquer un placement un peu approximatif et la nécessité de triompher un répertoire un peu décousu mais il jaillit de ses poignets quelques muletazos d’une grande finesse, dont une magnifique naturelle signée en entame de faena au 5. Ce 5 qui « mettait la tête » ainsi que l’annonçait notre maître Paco dès le premier tiers était le bonbon de l’envoi, conformément aux Ecrits. Une volonté évidente, quelques gestes soyeux et l’appui du public permirent à l’Arlésien de faire « oublier » un demi-golletazo infâme quoique efficace et de couper deux oreilles. La vuelta al ruedo du toro s’avérait superflue dans les mêmes proportions. Modernités toujours, la corrida de lundi donna lieu à une litanie de redondos inversés (la fameuse passe dite du rétroviseur extérieur) de la part de tous les toreros mais en la matière, le public n’a que ce qu’il mérite.

Le froid tombait doucement sur les arènes alors que Thomas Joubert sortait en triomphe, le soleil illuminait les tours des arènes et les clochers de la ville, les ruelles calmes et riches de détails tout arlésiens. Le cadre magnifique, les amis présents, la corrida relativement digne pour la catégorie de l’arène. Rien qui puisse passer pour « torista » toutefois, faut-il le préciser ?

  1. SPITTLER Répondre
    Eh bien je suis bien content de ne pas avoir fait le voyage depuis les Vosges!

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