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La minute yougoslave

Je flottais presque sur la route entre Santa Cruz et Brazatortas dans la nuit noire qui résistait à laisser sa place à une matinée qu’on imaginait cardena. En manque de sommeil, mes pensées vaporeuses se mêlaient à la radio dont la compagnie fidèle me sauvait de l’endormissement total. Et puis ce fut comme un réveil en sursaut, et de l’intervention du locuteur radiophonique je ne retins que de ces deux mots : la minute yougoslave. Le journaliste relatait la rencontre « je t’aime, moi non plus » des deux dirigeants de la gauche espagnol écartelée, candidats à l’accouchement impossible d’un gouvernement tricéphale.

La minute yougoslave, une référence à cette géniale et révolutionnaire équipe de basket plurinationale qui, dans les années 80 savait retourner la situation dans les matchs difficiles et s’imposer dans la dernière minute.

La minute yougoslave, une récupération habile d’un cabinet de communication et la mise en scène photogénique d’une rencontre stérile. Un titre racoleur pour les médias mais un contenu vide pour un auditoire lassé d’autant de postures inefficaces, et part ailleurs surpris qu’on ne vive pas si mal dans une Espagne qui navigue depuis trois mois sans capitaine ni membre d’équipage.

Ma minute yougoslave, la vraie de vraie, je l’ai vécue la veille au soir, et mon Zoran Slavnić, mon Dražen Petrović ou mon Toni Kukoč à moi s’appelle Juan Luis et est originaire de Castille. Sur la route du sud, en étape aux portes de Despeñaperros, je dispose d’une matinée libre avant un rendez-vous. Malgré quelques coups de fil, je suis bredouille et je me fais à l’idée d’échanger une intéressante visite d’élevage de braves pour une amère grasse matinée dans un motel de bord d’autoroute. En toute fin de soirée, quand les jeux sont faits, Juan Luis arrache finalement un rendez-vous de dernière minute chez Javier Gallego. Tire à trois points sur le buzzer et victoire in extremis dans les prolongations. Ça mérite bien le café, le pousse-café, la copa, les anecdotes racontées mille fois et la nuit mouvementée qui ne dure qu’une poignée d’heures.

Alors que l’obscurité cède finalement face aux lueurs d’une matinée grise, Macarena m’accueille pour me guider sur les terres de la ganaderia de son père Javier Gallego. Elle me montre ses toros, ses Domecq, et me garde pour la fin de la visite les vaches Veragua en s’excusant à l’avance de la maigreur des animaux à la sortie d’un hiver trop sec, et de la récente vaccination qui rend les animaux méfiants et fuyards. Dans le paysage rugueux, les vaches se jouent du terrain pour échapper au 4×4 citadin qui ne peut se frayer un chemin entre les caillasses grosses comme des melons qui semblent avoir été disposées soigneusement pour miner notre progression. On tourne et on contourne, on évite et on esquive pendant que ces dames discrètes et agiles s’éparpillent, se cachent et nous échappent en quelques enjambées. On se faufile comme on peut pour apercevoir les moins farouches d’entre elles. Ce n’est pas si mal et c’est réconfortant de les savoir toutes là. Sous les arbres, dans le maquis et sur le bas de la colline, se cachent une quarantaine de vaches Veragua et leur semental.

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