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El Ahorrador

Lundi soir, illumination de la feria et ouverture des casetas : c’est la première fois que je suis à Séville lors de la feria, la disparition des corridas d’élevages un peu intéressants en pré-feria ayant eu raison de mes maigres habitudes. En 2006, la pré-feria proposait des corridas de Palha, Cuadri, Cebada Gago et Victorino Martin. Depuis lors, Victorino est passé en « deuxième semaine » comme on dit au tennis et les autres élevages ont disparu des cartels de la Maestranza.

Dimanche soir, personne ou presque dans les rues, Séville (s’)économise pour la bringue qui doit commencer et sur la calle Betis, au Rejoneo, la proportion de Français tutoie la majorité absolue. Le lendemain aux arènes, cette proportion a probablement baissé mais doit rester à des niveaux élevés : les Sevillans savent tout de même deux ou trois choses de toros et continuent d’économiser leurs forces et leurs euros pour la feria : demie entrée pour être généreux, trous béants à l’ombre abonnée, vide intersidéral au soleil.

La quatrième de couverture du programme du jour consiste en une pleine page de publicité des supermarchés dits de Hard Discount Lidl où l’on peut contempler le dessin électronique d’un torero imaginaire Carlos Gonzalez « El Ahorrador » (Ahorrar signifiant économiser ou épargner) toréant de la main droite un caddie Lidl rempli. Passé le premier effroi, vient la stupéfaction de penser que cette page est l’aboutissement d’un long processus de décision et de réalisation ayant fait intervenir de nombreuses personnes ayant pensé, conçu, validé, créé, financé puis publié pareille campagne et on se dit qu’au cours de toutes ces semaines et étapes de création, pas une personne n’a eu le poids ou les huevos pour dire quelque chose qui aurait commencé par « euh non mais attendez les gars… »

Au recto dudit programme, les merveilleux Daniel Ruiz affrontaient El Cid, David Mora et Daniel Luque. La mémoire étant ce qu’elle est et la fatigue et l’alcool, fléaux endémiques qui guettent les étrangers au bord du Guadalquivir, ne faisant qu’accentuer les failles de celle-ci, je me suis résolu à recommencer à prendre quelques notes. Studieux au début, inquiet rapidement, interdit ensuite, résigné assez vite, las immédiatement après, les notes concernant les deux derniers combats se résument aux noms du torero et du toro, la date de naissance, le poids et le numéro de ce dernier. Alors quoi ? Disons que le Cid a gardé de ses belles années un physique irréprochable et la main chaude au sorteo puisqu’après un cinqueño sans grande charge au 1 il lui échut au 4 Mensajero (535 kg numéro 27 09/11) manso mettant la tête et partant de loin en début de faena pour se dégonfler ensuite et chercher les planches, dont la charge vibrante réveillèrent l’espoir sur les gradins clairsemés. Le natif de Salteras proposa un torero périphérique le cul en arrière et la muleta inclinée où le « Domé » se lassa assez vite de tourner en rond à des années lumières du torero. Exemplaire rêvé par les modernes et emblématique du toro manso noble mais à fort pouvoir de transmission, Mensajero finit d’oter toutes leurs illusions aux aficionados qui se souviennent du Cid d’il y a dix ans. Entière dans le manteau sortant par la poche, deux pinchazos, et entière tombée couronnèrent la débâcle. Le Cid n’y « est » plus.

David Mora toucha avec le 2, Calabres (539 kg, numéro 8, 12/11), un toro haut et assez mal fait mais qui l’espace des deux premiers tiers me laissa penser qu’il pouvait avoir un semblant de mauvaises intentions. Grand tiers de banderilles d’Angel Otero plein d’aguante et clouant dans les cornes qui salua sous l’ovation. Début du revenant à genoux en se relevant vite puis séries de 4 ou 5 passes et deux remates au cours desquelles le toro s’épuisait assez vite, il finit par trouver à gauche la distance et le rythme, laissant pour le souvenir deux naturelles de catégorie qui déclenchèrent la musique. La série suivante s’ouvrit sur un trincherazo et un changement de main pour revenir à gauche mais tout cela avait trop duré et la musique comme le toro s’interrompirent – Pinchazo et 3/4 d’épée provoquant une hémorragie.

Daniel Luque est un torero fascinant, réalisant le tour de force de tisser la soie dans les remates et les adornos tout en étant en général un torero parfaitement vulgaire et froid, quelques grammes de caviar en produit d’appel dans un caddie Lidl. Suivant l’exemple de Carlos Gonzalez « El Ahorrador », j’économisais moi-même l’encre de mon stylographe et les neurones encore mobilisables.

Il était temps de sortir rire de tout ça avec les survivants.

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