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¡¡ Muchocoraje !!

IMG_0680 1Les Sévillanes papotent entre elles, taillent des costards, se plaignent, ragotent, ce qui a le mérite de les rendre plus humaines car une fois le traje de Gitana enfilé et la feria atteinte, c’est autre chose. La langue que l’on parle à Séville et ses environs est riche de particularités qui la rendent charmante ou inintelligible. L’un n’exclue pas l’autre. L’une de ces particularités réside dans la façon de prononcer le « st », dans « esta » ou « gusta » par exemple. Il semble en effet que l’Andalou, de Trigueros à Seville au moins, aime y adjoindre un « s » supplémentaire, voire un « tch ». « Me gusta » devient quelque chose entre le « me gustsa » ou « me gustcha ». Je parierais bien ma chemise qu’essayer d’imiter cette particularité s’avère totalement vain pour le guiri moyen que je suis et qu’il disqualifie totalement une fois revenu en Castille. De même, on m’a gentiment prévenu que le fabuleux « Miaaaarrrrma » qui vous a tant plu pendant votre avril sévillan, à Madrid « suena fatal ! ». La gentillesse du conseil ne l’affranchissant pas de fermeté.

Revenons aux Sevillanes qui, dans un accès d’humanité, bavardent donc comme tout un chacun. Lorsque celles-ci se fâchent elles ne se molestent pas, pas plus qu’elles ne s’enfadent ni ne se « enojan », mais la plupart du temps le motif de leur courroux leur donne beaucoup de « Coraje » plutôt que de « rabia ». Du coraje donc et plutôt mucho croyez-moi. C’est simple, le coraje se décline sans adjectif quand il se veut emphatique (me da un coraaaaje) et templé dans les syllabes où l’accent tonique sur le « ra » entraine dans sa rage la gutturale jota qui la suit et achève de donner de la crédibilité à la colère qui point. Lorsque le corage s’adjoint un mucho, il semble fusionner avec et dégringoler à une vitesse supérieure : l’accent reste alors sur le « Mu », promontoire d’où s’élance une cascade de phonèmes irrités. Le « t » imaginaire précédent le « cho » constitue alors l’impulsion à partir de laquelle le retour en arrière devient un regret inéluctable. Le torrent de syllabes qui suit se heurte au rochers du « c » et du « r » et se râpe sur la pierre ponce de la jota finale. Quand l’œil noir de la Sevillane s’anime de colère et que se sa bouche chute ce muchocoraje on n’ose imaginer ce qu’un accès de courage pourrait causer à l’endroit de la cause de leur irritation, mais rassurez-vous il s’agit d’un faux-ami ou presque. La Real Academia Española donne deux sens à ce terme, l’un en rapport avec notre courage (1. m. Impetuosa decisión y esfuerzo del ánimo, valor.) qui me semblait tenir plus de la témérité avant que mon ami Pedro de Lima ne me corrige (il s’agit bien d’un synonyme de valor = courage, très utilisé notamment dans le cône sud Uruguay, Argentine, Chili) et l’autre sens va de l’irritation à la colère (2. m. Irritación, ira.) et s’utilise ainsi au Mexique et en Andalousie (ainsi que parfois dans quelques pays victimes de l’influence de telenovelas mexicaines).

Mais où veut-on en venir ? A Roca Rey ! Une présentation, quatre toros, une vuelta, une oreille, il n’y avait pas de quoi passer sous silence les prestations du nouveau-venu du Nouveau Monde. A Roca Rey, Péruvien sous influence andalouse, il semble que ce qui donne du coraje tient plutôt de son héritage Limeño que de sa fréquentation des Andalous(es), car à la grande question dont bruisse le mundillo concernant la possibilité de sa consécration comme figura del toreo, c’est bel et bien son courage froid (valor seco) qui recueille les suffrages comme le meilleur argument à son ascension vers les sommets. Ce courage, qui n’a rien de téméraire, au service d’une détermination un peu froide et alliée à une technique et un sitio que beaucoup de matadors confirmés pourraient envier. Ce qu’on ne lui envie guère c’est sa conception très moderne du toreo, un genre d’Ojedisme pour le mouchoir de poche lié et pas mal de Julisme pour cette conception de dressage de toro. A Séville, l’on n’entend rarement crier, mais le samedi 9 pour sa présentation en tant que matador de toros en ces lieux, Andrés eut droit à un « Colócate ! » lors de la faena de son premier toro (protesté pour faiblesse insigne) de Juan Pedro. Le malheur des toreros grands et techniques face à des ersatz de bovins, est qu’ils lassent vite. Et le combat du 6eme prenait un chemin identique après un début par statuaires et cambiada, mais le JP se dégonfla (je veux dire : se dégonfla totalement) à la troisième série. Il fallait plaire ou faire parler, peut-être émouvoir et conscient de la situation, Roca Rey s’entêta au point que le bestiaux finit par le prendre et qu’il resta longtemps sur la corne sans que la cogida ne dégénère en cornada. Comme pour le Juli vendredi 15, se faire blesser (involontairement) par un animal d’emblée aimable, vite déprimé et à ce point faible s’avère pour moi plus qu’un paradoxe, mais une véritable perversion du toreo car l’exposition au danger n’est au service de nulle ambition artistique mais d’une recherche de l’émotion qu’un animal moribond est incapable de donner. Après un metisaca et une entière, Andrés poinçonna la réussite de sa présentation avec une vuelta al ruedo.

Vendredi 15, aux côtés du Juli donc et du Morantissime local, Roca Rey coupa sa première oreille sévillane au numéro 62, Encendido de 541 kg, zéro trapio et de forces rares – euphémisme. A son entrée en piste, le toro causa une frayeur à un policier en callejon ce qui fit beaucoup rire les gradins, amusés que l’on puisse prendre peur de pareille chose. Probablement inspiré par la lenteur des véroniques d’accueil du torero de la Puebla del Rio à son premier toro, le picador (Manuel ?) Molina exécuta à deux reprises la suerte de picar avec un temple exquis au service de la préservation de l’espèce en posant la puya au Nuñez del Cuvillo de loin pour amortir tout en douceur le choc contre le peto et d’un subtil mouvement de poignet lever immédiatement la pique. Quelques Saltilleras torchonnées par Eole plus tard, la faena s’ouvrit par le haut dans les tiers avec un cambio au milieu pour réveiller les gradins. Une série de derechazos « classiques » et templés plus tard, gêné par le vent et la faiblesse insupportable du bicho, commença une litanie de demies-passes dans les cornes et une fin par bernardinas ventées donc exposées. Le recibir qui suivit résulta « à la rencontre » et l’estocade un bajonazo qui soulagea quasi-instantanément Encendido d’une fin de vie pesante. Après pareil bilan, la Maestranza régala une oreille.
Au 6, Nenito (de Nene, le bébé… + diminutif = tout un programme) de 569 kg et Novembre 2011, l’autre Molina piquant s’abstint de donner une deuxième pique par pitié pour un toro ayant déjà chuté avant même son apparition. Roca Rey aguanta longtemps un cambio (ça commençait à manquer) au centre (trois au final), partit dans les cornes, passa une arrucina au toro qui allait se flinguer ensuite une patte et attendre la mort aux planches. Deux pinchazos plus tard, un descabello le libéra aussi. Oui… deux pinchazos et un descabello

19 ans, un avenir doré, une ambition immense et la complaisance de toros pareils plutôt que de taper du poing sur la table et prendre au moins autre chose…
Je ne sais pas pour vous, les filles, mais a mi, me da mucho coraje !

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