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La petite fille et le chat mort

La rencontre avec Paco Plazas, mayoral de l’élevage de El Retamar et picador à ses heures, aurait mérité un compte-rendu plus complet tant le bonhomme est passionnant, passionné et droit dans ses bottes camperas. Il élève du Nuñez « linea Rincón » comme il tient à le préciser, ce qui pour l’amateur de corrida contemporain est aussi clair qu’un proverbe chinois récité en version originale.
Des amis lui ont téléphoné depuis Valencia, le jour de la grande manif pour défendre la tauromachie. Viens Paco, c’est génial, il y a tout le monde ! Il est resté aux côtés de ses Nuñez linea Rincón tout en se disant que sauver cette corrida-là, ce qu’elle est devenue, n’avait pas de sens et qu’elle pouvait bien crever après tout. Il ne se fait aucune illusion sur la pérennité de pratiques frauduleuses à l’encontre des toros, même à Madrid, pas plus qu’il ne mise un kopek sur l’avenir. Les novilleros sont des automates qui reproduisent un toreo prémâché aux antipodes de ce qu’est la lidia d’un toro. La preuve ? Observez bien la manière dont les novilleros achèvent une passe de muleta : ils donnent toujours la sortie vers l’extérieur. Le point d’interrogation, la jambe avancée, l’oeil contraire, les trois temps de la passe ? Ca fait joli dans les livres, ça ne sert à rien face au toro concocté par les Garcigrande et autres succursales de succursales où la sélection est faite par les figuras. Le mayoral de Garcigrande, c’est le Juli.
Mais l’intégrisme n’est pas son truc, la liberté a trop de prix à ses yeux. Sa liberté à lui, ce sont ses Retamar aux corps ramassés, musculeux. Le Nuñez a une charge longue, ça lui plaît.
Il n’a pas caché que son monde lui paraissait à l’agonie et que tous les artifices n’y feraient rien : indultos, fundas, triomphes fin de soldes, vueltas al ruedo insignifiantes, communication à outrance, toreo Sodebo. Son monde il l’élève aux portes de Madrid et le protège derrière un grand portail électrique. Il le porte en son coeur et doit le trimballer partout où l’obligent les contrats.
Des semaines plus tard, j’ai retrouvé Paco Plazas dans les yeux figés mais électriques d’une petite fille* qui marche sous la pluie, longtemps, très longtemps. On ne voit que ses cheveux trempés au début puis le cadre s’élargit, un chemin blanc éclaire une image somptueuse. Le regard de la petite fille se perd en nous, une flèche. Elle ne cesse de marcher. Les feuilles crissent au sol. La pluie ne s’arrête pas. Elle porte un chat mort dans sa main gauche. Elle le porte depuis le début. Un chat mort. Son monde.

  • Sátántangó, Béla Tarr (1994).
  1. Anne-Marie Répondre
    Elle porte la mort de la tauromachie dans sa main gauche. Elle porte la mort de notre passion. Et tant pis pour nous. Notre monde à nous aussi va mourir.

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