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James Salter

IMG_0977« Tel fut, sans doute, le motif profond de l’oeuvre de James Salter, qui l’a souvent fait comparer à Fitzgerald : l’écart entre la vie telle qu’elle devrait être et la réalité, le sentiment d’inaccomplissement qui est l’essence de l’expérience humaine, et les échappatoires, non pas factices mais fugitives, que constituent l’amour, l’hédonisme, ou la guerre, comme des épiphanies bousculant et éclairant l’intensité moyenne des jours »

En terme d’épiphanies j’étais alors en pleine transition entre deux, nichées dans une période où l’intensité moyenne des jours prenait depuis quelques mois un éclat un peu lugubre et tourmenté. Il faut parfois s’efforcer de voir les choses de loin, avec la perspective que l’on aura une fois que le temps aura fait son oeuvre permettant de voir les tracas, les mésaventures, les avanies et les désillusions comme des détails de l’histoire (sans vouloir paraphraser l’autre). Je n’ai lu que deux bouquins de James Salter : « Et rien d’autre » qui retrace justement l’histoire d’une vie pleine de ces soubresauts très communs si l’on veut bien considérer les choses à l’échelle de l’humanité contemporaine. Des rencontres et des séparations, un emploi et tout un tas de joies et de divertissements. Le style de Salter fait s’enchainer tout cela naturellement, plus fluide encore que les rebonds d’une balle molle qui finira par rouler et s’immobiliser sur un coin de moquette. Un point de vue plein de distance et lucide sur les épisodes qui jalonnent une vie. Le bouquin avait reçu des critiques mitigées, je l’avais trouvé remarquable de justesse. L’été dernier, j’ai lu son bouquin le plus connu : « un sport et un passe-temps », chronique érotique américaine en forme de road-trip tournant autour de la Bourgogne et de Paris. Je me souviens l’avoir fini sur le banc d’un parc, à l’ombre des murs des corrales d’Estella en Navarre, quelques heures avant une course de Miura sans être autant convaincu que lors de la lecture de « Et rien d’autre ».

Juillet 2015, en pleine transition entre deux courses effrénées pour fuir « l’intensité moyenne des jours », je revenais donc de deux jours radieux et épuisants dans l’été Mancunien où, au cours d’un séjour d’une intensité sexuelle quasiment mortifère, nous avions pu écouter une chorale d’Estonie chanter Drei Hirtenkinder aus Fátima d’Arvo Part à la Whitworth Gallery, dévorer du poulet chez Nando’s et profiter du soleil dans les parcs de Manchester. La providence reliant Liverpool à Nîmes par voie aérienne, j’attendais quelques heures plus tard chez François que Yannick nous rejoigne pour partir ensemble vers Céret en ce vendredi veille de feria catalane. Le numéro du 1er juillet de Télérama qui trainait par là consacrait une page à Salter, disparu quelques jours plus tôt, sous la plume de Nathalie Crom à qui j’ai emprunté les quelques lignes qui ouvrent ce texte. Si Céret ne constitue pas chaque année à proprement parler une « épiphanie », il est a priori une échappatoire qu’on ne négocie pas, une bouffée d’espoir. Dans « Et rien d’autre », Philip emmène Enid, à moins que ce ne soit l’inverse, dans l’Espagne franquiste de Madrid à Seville et y évoque Garcia Lorca et son chant funèbre (« Parmi les plus sublimes de ses poèmes… ») à Mejia (sic), « qui était retourné dans l’arène en hommage à son beau-frère, le grand Joselito ». Très américain sixties et pour autant sincère. Le type-même de référence sur lequel il est si plaisant de tomber de façon inattendue au détour d’un bouquin.

Au détour de l’article de Nathalie Crom, je tombai sur une autre citation de Salter (issu de « Une vie à brûler », 1997) évoquant la guerre de Corée et involontairement torerissime :
« Lorsque je retournai à la vie domestique, je gardai quelque chose pour moi, un profond attachement – plus profond qu’aucune chose que j’avais connue – pour tout ce qui s’était passé. J’étais arrivé très près du genre d’accomplissement qui demande de tout risquer, d’aller où les autres n’iraient pas, de donner ce qu’ils ne voudraient pas donner »
1997… José Tomas a certainement lu les mémoires de James Salter à leur parution (mais pas à Céret, certes).

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