logo

Aucun bouquet ne vaut pour moi… (IV)

LL-vazmonteiroMiguel Ier fait partie de la courte mais fondamentale liste des souverains ganaderos. Avant lui, son oncle Fernando VII de Bourbon que nous évoquerons plus avant, et après lui Carlos Ier de Bragança affichèrent une afición sans borne et se lancèrent dans l’aventure ganadera.

Selon diverses chroniques de l’époque qui ont depuis été largement reprises dans nombre d’ouvrages taurins, Miguel savourait son afición autant qu’il le pouvait, démontrant semble-t-il de grandes qualités en tant que jinete. Homme fantasque, il s’amusait à plonger dans l’effroi ses semblables en jouant avec les toros. C’est ainsi, rapporte Antonio Martín Maqueda dans un article publié dans la revue El Ruedo, « qu’il plaça un jour un toro  à une porte de son palais de Salvaterra de Magos, porte par laquelle devait entrer son père, le roi. Comme le toro ne réagissait pas, il le piqua avec une vara des quatre côtés ce qui eut pour effet d’effrayer tous les courtisans présents. »

Cavalier émérite, il fut un aficionado engagé. C’est grâce à lui que virent le jour les arènes — aujourd’hui disparues — du Campo de Sant’Ana 1 à Lisbonne qui prenaient la suite de celle du Salitre — sa dernière année d’activité taurine date de 1838 — dans lesquelles le futur roi avait fait ses gammes face aux toiros da terra que pouvaient fournir des ganaderos comme Rafael José da Cunha, Manuel Duarte Silva ou même un nom qui en rappelle étrangement un autre : José de Faria Pereira. La plaza de Sant’Ana fut inaugurée en juillet 1831, en sa présence évidemment, et avec l’arbitrage de seize toros « escogidos de sus reales manadas ».

Car Miguel fut ganadero avant d’être roi. Comme il était de coutume dans la monarchie portugaise, l’infant recevait des terres que l’on appelait alors l’Infantado. Ces terres étaient essentiellement situées dans le Ribatejo, autour de Pancas, c’est-à-dire précisément là où quelques années plus tard la famille Palha Blanco constitua l’élevage phare du pays. À Pancas, Miguel élevait — au début du XIXe siècle, la notion d’élevage en est encore à ses balbutiements — un troupeau sur lequel bien peu de renseignements perdurent de nos jours. La seule hypothèse qu’il semble plausible d’avancer est que ces bêtes étaient des toiros da terra de la race portugaise, toros cousins des espagnols mais pour autant relativement dissemblables quant au tamaño. Pour se faire une idée assez juste de ce à quoi pouvaient ressembler ces bêtes, il convient de feuilleter l’ouvrage écrit par Francisco Palha Botelho Neves intitulé O Toiro de lide em Portugal 2. L’on y découvre des animaux de petit squelette, au morrillo assez peu voire pas développé et pourvus de cornes dont l’extrémité s’échappe vers le ciel. D’apparence et de stature, ils rappellent les taureaux camarguais. Aujourd’hui ne subsiste qu’un seul élevage pouvant s’honorer d’avoir conservé de telles bêtes, et force est de constater en comparant des photographies du XIXe siècle à celles, actuelles, des toiros de Rita Vaz Monteiro que les similitudes entre les deux sont très nombreuses.

En 1830, Miguel reçoit un cadeau original de la part de son oncle Fernando VII, roi d’Espagne et frère de la mère de Miguel, Carlota Joaquina de Bourbon. En vérité, les historiens ne s’entendent pas sur la véracité de la notion de cadeau. Certains évoquent en effet un cadeau fait à Miguel, d’autres défendent l’idée que ce serait Carlota Joaquina qui aurait acheté à son frère cinquante vaches et deux étalons parmi les innombrables têtes de bétail que Fernando VII venait d’acquérir à la mort de Vicente José Vázquez, grand latifundiaire andalou et ganadero reconnu. Cadeau ou achat, peu importe, car toujours est-il qu’en 1830 Miguel devient le propriétaire d’un élevage constitué à 100 % de toros de caste espagnole. Sans le savoir, il vient d’inaugurer une étape importante dans la création des nombreuses ganadarias portugaises que verront naître le XIXe siècle et le début du XXe siècle.

LL-novillofpalhaTout de suite, et c’est d’ailleurs ce qui peut permettre d’étayer la thèse selon laquelle son premier troupeau était de casta portuguesa, Miguel, alors roi, installe les vazqueños dans une quinta proche de Salvaterra de Magos. A priori il a conscience de la valeur des bêtes offertes et ne tient pas à les mélanger avec le reste du troupeau royal.

Selon diverses sources, dont Antonio Martín Maqueda 3 et Pierre Dupuy 4, les deux étalons étaient de pelage jabonero. Il est impossible aujourd’hui de pouvoir le vérifier tout en se permettant d’en nuancer la probabilité. En effet, il semblerait que ce pelage aujourd’hui identifié à une des lignes de la caste vazqueña, le Veragua, fût loin d’être majoritaire dans l’immense élevage de Vicente José Vázquez. La prédominance — ou en tout cas l’accroissement — du pelage jabonero dans l’élevage du duc de Veragua daterait des années 1860 — une trentaine d’années donc après la division de la ganadería de Vázquez — et serait le fait d’un toro jabonero nommé ‘Charrengue’, « lidié » à Valence en 1861 et conservé ensuite comme semental par le duc de Veragua. C’est à partir de cette date que les jaboneros se multiplièrent dans les camadas de Veragua alors qu’ils sont absents ou rares de ce qu’il reste aujourd’hui de « pur » — c’est à relativiser aussi — vazqueño, les Concha y Sierra.

La petite ganadería que lui offre son oncle représente en 1830 la synthèse presque parfaite de toutes les castes de toros nées en Andalousie. Elle est l’œuvre d’un homme qui avait de la suite dans les idées et surtout les moyens de concrétiser ces dernières.

1. Lisbonne a connu plusieurs arènes au cours de son histoire. On estime ainsi que la première arène édifiée après le tremblement de terre de 1755 fut celle du Salitre, qui acheva son activité en 1838. Celle-ci fut remplacée par la Praça do Campo de Sant’Ana inaugurée en 1831. Enfin, en 1892, fut inaugurée la Praça de touros do Campo Pequeno qui reste aujourd’hui encore la plaza de la capitale portugaise. On pourra feuilleter avec intérêt un article intitulé « A praça de touros do Salitre » signé de Carlos Abreu dans la revue Feira da Ladra datée de février 1930.
2. Francisco Palha Botelho Neves, O Toiro de lide em Portugal, Inapa, 1992.
3. Antonio Martín Maqueda, Ganaderías portuguesas, Pandora, 1957.
4. Pierre Dupuy, Palha, 150 ans d’histoire, Edições Castelão, 2005.

  1. Anne-Marie Répondre
    Cette incursion dans l’histoire est passionnante. Bien que le train se soit arrêté, et certainement déjà reparti vers la gare qui était bleue, le voyage continue pour nous. J’espère qu’il va se poursuivre, sur les terres, et avec les bêtes de Palha. Ce voyage me rappelle « Ce lieu où l’on ne s’arrête pas ». Pour l’ambiance, pour le ressenti. Pour ce qui reste, là, bien après avoir lu. Quand l’histoire sera terminée sur Campos, il me plait d’imaginer dans la vitrine d’une librairie « amie », un bel ouvrage, agrémenté de sublimes photographies. Je garde une place sur l’étagère.

Laisser un commentaire

*

captcha *