logo

Aucun bouquet ne vaut pour moi… (V)

Un apartado. José Elbo, 1.830.Vicente José Vázquez est le fils de Gregorio Vázquez, andalou et intendant de l’armée, donc à ce titre chargé d’approvisionner les militaires de la zone — autour de Séville — en nourriture, et le bovin faisait partie des mets goûtés par les soldats.

Nous savons aujourd’hui par exemple, grâce aux travaux extrêmement fouillés d’Antonio Luis López Martínez 1, que ce Gregorio Vázquez acheta du ganado en 1767 qui provenait de la ganadería du couvent de San Hermenegildo de Séville — couvent fondé en 1580 par les Jésuites, qui furent expulsés d’Espagne par un décret royal secret signé par Carlos III le 27 février 1767 – pour la somme de 166 103 réaux. En guise de ganado, la famille Vázquez fut servie et se servit chez tous ses voisins — elle était originaire d’Utrera — pour constituer un élevage hors du commun. Sans tomber dans l’exhaustivité, il est possible de dresser une liste assez détaillée de ce que Gregorio puis Vicente José achetèrent entre 1755, date à laquelle les historiens évaluent la date de la fondation de l’élevage, et 1830, date de la mort de Vicente José Vázquez.

Ainsi, mais tous ceux qui ont écrit sur le sujet ne s’entendent pas sur l’importance réelle ou pas de l’action de Gregorio Vázquez en comparaison de celle de son fils, l’élevage originel fut complété par des animaux achetés à Luis Antonio Cabrera ou à ses successeurs — certains ouvrages avancent que cet achat serait à l’origine des pelages sardos, berrendos et jaboneros — à Juan José Bécquer dont les bêtes étaient des Cabrera croisées avec des étalons de Raso de Portillo — qui auraient donné les pelages colorados — à Benito Ulloa y Ledesma plus connu comme le marquis de Casa Ulloa qui avait un élevage « encasté » Cabrera lui aussi — bêtes qui seraient à l’origine des pelages negros et berrendos en negro — et enfin, à partir des années 1790, au comte de Vistahermosa.

L’histoire de l’acquisition des bêtes vistahermoseñas par Vicente José Vázquez démontre à quel point l’homme était déterminé et mettait tout en place pour atteindre son but de créer une véritable caste nouvelle à partir d’un mélange de tout ce qui existait en Andalousie  — auquel il convient d’ajouter l’apport castillan du Raso de Portillo —, et qui était déjà considéré à l’époque comme ce qui se faisait de mieux en matière de toro. Se heurtant au refus du comte de Vistahermosa de lui vendre des bêtes, et particulièrement des femelles, Vázquez eut l’idée de louer les dîmes ecclésiastiques de quelques diocèses sur les terres desquelles paissaient de nombreux élevages dont celui de Vistahermosa. De cette façon, il avançait ce que chacun — ganaderos et travailleurs — devait à l’Église, puis se faisait rembourser par chaque propriétaire. Or, il était plus opportun pour un ganadero de payer avec des vaches qu’avec des mâles, car ceux-ci étaient plus chers sur le marché. C’est de cette façon que le Vistahermosa dont rêvait Vázquez entra dans la constitution de ce pot-pourri taurin pour qui certains historiens ont osé avancer le chiffre de 8 000 têtes de bétail à la mort de Vicente José Vázquez en 1830. Luis Fernández Salcedo 2, dont la langue ne manquait pas de sel, n’a pas manqué d’imaginer la scène entre les « gens » de Vázquez d’un côté, triomphants, vainqueurs, et ceux de Vistahermosa de l’autre, vaincus mais dignes dans une sorte de répétition ganadera de la célèbre Reddition de Breda rendue immortelle par Velázquez 3.

Au décès de Vázquez en 1830, la ganadería compte certainement un nombre impressionnant de bêtes mais également de dettes, en particulier un peu trop pour celles contractées auprès de Sa Majesté Fernando VII de Bourbon. C’est donc celui-ci, par l’intermédiaire de Fernando Criado Freire, qui récupère la plus grande part de l’élevage andalou. Les aspirations du roi d’Espagne concernant ce ganado restent assez floues. Certains avancent que c’est sa grande afición qui l’aurait poussé à devenir ganadero, d’autres défendent l’idée qu’on lui aurait soufflé que ce cheptel bravo permettrait d’utiliser au mieux les terres que la monarchie détenait à côté d’Aranjuez sous le nom des « pastos de las riberas del Jarama » — en vérité, moins d’un an après leur transfert aux riberas de Jarama, le troupeau fut envoyé sur les terres d’El Pardo. De même, les avis divergent sur l’état du troupeau que récupère Fernando VII, sur le nombre de têtes et sur la qualité des animaux. Dans la Tauromaquia de Guerrita 4, les auteurs laissent entendre que « concertada la venta, convenido el precio y la condición de que el ganado había de ser escogido después de tentado para satisfacer de este modo los deseos de Fernando VII, el Sr. Freire buscó para conocedor al célebre picador Sebastián Míguez, y en el cortijo de Casaluenga, y ayudado por Francisco Sevilla ‘Troni’, se tentaron la mayoría de las vacas, escogiéndose 400, que unidas á otras 100 paridas y con rastra que entonces no se tentaron, pero que ya lo habían sido de utreras, formaron una piara de quinientas, saliendo de Sevilla para el Jarama a fines de Junio de 1830 y llegando a Aranjuez a mediados de Agosto con 100 erales más sin tentar y 34 cuatreños que habían sido tentados de erales y que, por su peló y trapío, demostraban condiciones inmejorables que luego se confirmaron al ser lidiados », ce qui est d’ailleurs devenu l’historiographie officielle de l’affaire.

Néanmoins, plus récemment, l’historien de la tauromachie Rafael Cabrera Bonet a mis en doute cette thèse dans un article fort intéressant publié sur Internet et inspiré d’une de ses conférences donnée à la faculté de droit de l’université C.E.U. San Pablo de Madrid à l’automne 2012 5. Cabrera Bonet s’appuie sur de nouvelles sources, en particulier sur des notes de l’Archivo General de Palacio écrites par un administrateur interne du Palais pour rendre compte au roi d’Espagne de la prise en charge et de la gestion du troupeau vazqueño. De ces notes prévaut l’idée que la ganadería de Vázquez n’était pas dans un bon moment à la mort de l’Andalou à tel point que le conocedor de l’élevage nommé par le roi, Sebastián Míguez, proposa d’éliminer de vieilles vaches ainsi que certains mâles « tientés » en Castille et non, comme l’écrit la Tauromaquia de Guerrita, en Andalousie au moment de l’achat. De plus, ce serait ce même Míguez qui aurait proposé l’idée de faire couvrir les vaches vazqueñas par des étalons achetés à Manuel de Gaviria, marquis de Casa-Gaviria, et à Juan José Fuentes de Moralzarzal, tous ces mâles étant d’origine castillane donc Jijón. Ces notes, selon Cabrera Bonet, remettent en question toute l’histoire officielle, qu’il nomme « légende », autour de l’achat de l’élevage de Fernando VII par le duc de Veragua en 1833. Ce dernier, intéressé par la vacada royale, se serait entendu avec ce Sebastián Míguez pour qu’il marque à l’oreille toutes les bêtes issues du croisement Jijón afin de pouvoir les écarter au moment de l’achat. À suivre la démonstration de Cabrera Bonet l’on peut se demander en effet pour quelle raison Míguez aurait poussé à un croisement, qu’il jugeait primordial pour redonner du lustre aux vazqueños, qu’il réfuterait à peine deux ans plus tard. ¡Son cosas de toros!

1. Antonio Luis López Martínez, La Ganadería de Vicente José Vázquez. Mitos y documentos, Université C.E.U. San Pablo, Madrid, 2002.
Antonio Luis López Martínez, Ganaderías de lidia y ganaderos. Historia y economía de los toros de lidia en España, Fondation Real Maestranza de Caballería de Sevilla, Université de Séville, 2002.
2. Luis Fernández Salcedo, Trece ganaderos románticos, Editorial Agricola española, 1987.
3. Diego Velázquez, La Reddition de Breda (ou Les Lances), vers 1635, Musée du Prado, Madrid.
4. Leopoldo Vázquez, Luis Gandullo et Leopoldo López de Saá, sous la direction technique de Rafael Guerra ‘Guerrita’, La Tauromaquia, Madrid, 1869.
5. Rafael Cabrera Bonet, « Una de las leyendas sobre Vázquez y Veragua », Recortes y Galleos.

Laisser un commentaire

*

captcha *