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Aucun bouquet ne vaut pour moi… (VI)

LL-Palhamarque8C’est donc d’une infime partie de l’élevage de Vázquez qu’hérite le roi Miguel Ier en 1830 et l’on peut imaginer que les bêtes offertes — achetées ? — par Fernando VII faisaient partie d’un lot non « tienté » si l’on suit la pensée de Rafael Cabrera Bonet. Il est impossible de connaître précisément aujourd’hui l’état physique et les qualités bravas des animaux envoyés au Portugal. Y eut-il des pertes ? Miguel ne reçut-il que de vieilles vaches puisque Míguez voulait s’en séparer ? Ces questions n’ont pas de réponse et nous sommes donc contraints d’accepter ce qu’en écrivent les livres : Miguel Ier hérita de cinquante vaches vazqueñas et de deux étalons du même sang, mais il n’eut pas l’occasion d’en profiter étant donné sa condamnation à l’exil en 1834.

Pour régler les problèmes économiques que le pays traversait après cette guerre civile, la monarchie ordonna plusieurs mesures d’urgence qui permirent de faire entrer le « nerf de la guerre » dans les caisses de l’État. C’est ainsi que le relate Pierre Dupuy 1 : « Le 28 mai 1834, il [le gouvernement] supprima les ordres religieux et, le 18 juin, il décréta la vente des biens nationaux et de main morte (bens de mão morta) accumulés sous le régime féodal par le clergé et la couronne dont les Casas das Rainhas e do Infantado (les maisons des reines et des infants). Les choses traînèrent et, pour faciliter les transactions, fut créée en 1836 la Companhia das Lezirias do Tejo e Sado qui acheta la bagatelle de 48 000 hectares sur les territoires de Benavente, Chamusca, Golegã, Vila Franca de Xira, Salvaterra de Magos, Samora Correia… »

Dans la complexité de la liquidation des biens de Miguel Ier, la partie taurine semble avoir été la plus simple. Ainsi, les toros furent offerts — vendus ? — à deux hommes qui avaient témoigné un soutien indéfectible à l’égard de Pedro et de sa fille Maria da Glória, future Maria II : Dâmaso Xavier dos Santos Leite et le marquis de Belas.

C’est à partir de ces deux hommes que le sang vazqueño se propage en Lusitanie. D’un côté, Dâmaso Xavier dos Santos Leite — pour la petite histoire, Dâmaso Xavier dos Santos Leite (1770-1844) acheva sa vie passée au service du roi (Commandeur) et de sa commune Cartaxo sur les terres que son ami le marquis de Niza détenait à Benavente à l’endroit même où la rivière Sorraia se jette dans le Tage, à la Quinta da Foz que nous aurons l’occasion d’évoquer à nouveau plus avant dans cette histoire et qui occupe une place à part dans la ganadería Herdeiros de Maria do Carmo Palha — vend des vaches de cette caste au marquis de Ponte de Lima, à Francisco Paula Leite, à la Casa Cadaval et au ganadero, déjà connu dans toute la péninsule ibérique, Rafael José da Cunha, qui en revend à Barão da Junqueira. De ces multiples ramifications qui dispersent l’élevage royal, il convient de relever le cas particulier du marquis de Ponte de Lima qui, selon plusieurs sources, aurait vendu des produits croisés entre les vazqueñas et des toiros da terra à plusieurs confrères parmi lesquels le comte de Sobral, Barão de Salvaterra de Magos, Estêvão Augusto de Oliveira, le marquis de Vagos, Maximo da Silva Falcão et João Veloso Horta. Le ruisseau vazqueño muait à un rythme effréné en un delta tortueux.

Et c’est là, sur les rives du delta, dans le brouillard laiteux d’une matinée qui annonce le soleil de l’après-midi, qu’apparaît, silhouette noire et colossale, le nom des Pereira Palha. 1848 : une nouvelle ganadería voit le jour dans les environs de Vila Franca de Xira avec pour fer un P surmonté d’une croix et d’un 8. Alors que l’Europe est, une fois de plus, tout entière tournée vers l’exemple révolutionnaire de la France, alors que François-René de Chateaubriand entame la publication en feuilleton de ses Mémoires d’outre-tombe, géniales, cabotines, orgueilleuses, désespérées, António José Pereira Palha, fort barbu comme l’époque en a fourni de plus célèbres, décide de devenir ganadero de toiros de lide. Pour cela, il achète des reproducteurs à Estevão António de Oliveira, João de Sousa Falcão et João Crisostomo Veloso Horta. Dans l’ouvrage de référence qu’il a écrit sur la ganadería Palha, Pierre Dupuy avance l’idée que le choix d’António José Pereira Palha « se porte sur des éleveurs possédant des bêtes issues des fameux vazqueños royaux ». C’est ici que le brouillard devient plus épais et que le delta vazqueño se révèle être un labyrinthe dont il est fort peu commode de s’extraire.

La division primitive des vazqueños suscite quelques interrogations. La plupart des historiens avancent tous, à quelques noms près de ganaderos, le même scénario : Miguel Ier, Dâmaso Xavier dos Santos Leite et le marquis de Belas, qui revendent, surtout dos Santos, des vaches à Ponte de Lima, Paula Leite, Casa Cadaval, da Cunha et Ponte de Lima, celui-ci revendant de son côté, et dans une troisième phase donc, à Sobral, Barão, Oliveira, Vagos, Silva Falcão et Veloso Horta. Voici l’histoire officielle et sur laquelle il est difficile d’apporter une quelconque contradiction faute de se trouver en possession des sources inhérentes à toute démarche historienne. Néanmoins, est-il possible qu’un lot de cinquante vaches arrivé au Portugal en 1830 — et l’on ne sait pas s’il y eut des pertes — put donner autant d’animaux purs vazqueños durant les vingt ou trente années qui suivirent ? Aucun autre apport vazqueño venu d’Espagne n’est mentionné pendant cette période qui aurait pu gonfler le nombre. Néanmoins, et pour se contredire, il convient de prendre en considération que, dans la première moitié du XIXe siècle, les techniques ganaderas que nous connaissons aujourd’hui fondées sur la sélection en tienta ou par reata et sur l’élimination — drastique dans les élevages dignes de ce nom — des recalées n’existaient pour ainsi dire pas, en particulier au Portugal. Si Casa-Gaviria est un modèle du genre en 1831 lorsqu’il « tiente » une grande partie des Vázquez arrivées d’Andalousie, il n’en demeure pas moins plus une exception qu’un exemple suivi. De fait, l’on peut imaginer que ces ganaderos portugais héritiers de bêtes vazqueñas laissèrent la nature suivre son cours sans éliminer beaucoup de têtes. Il n’est pas non plus totalement infondé de croire que certains d’entre eux croisèrent leur bétail originel avec cet apport andalou, comme le suggèrent certains chercheurs à propos du marquis de Ponte de Lima.

L’exemple de ce dernier — qui n’est pas le seul — permet de comprendre la quasi aporie que représente la tentative d’écriture d’une histoire précise et même exhaustive des débuts de la ganadería brava moderne au Portugal. Même concernant Palha, tous ne s’entendent pas. Ainsi, Pierre Dupuy situe en 1848 l’achat des étalons vazqueños — ou croisés — aux trois ganaderos précités, alors qu’António Manuel Morais, dans son encyclopédie intitulée A Praça de toiros de Lisboa Campo Pequeno 2, précise qu’António José Pereira Palha les auraient achetés peu de temps avant 1871. Allez savoir…

1. Pierre Dupuy, Palha, 150 ans d’histoire, Edições Castelão, 2005.
2. António Manuel Morais, A Praça de toiros de Lisboa Campo Pequeno, Fnac-Gráfica, 1992.

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