Épisode XXX : Silva Herculano (Pinto Barreiros ligne Cabral Ascensão et Parladé) – Herdade dos Valhascos, Amareleja.
En somme, c’était le grand classique portugais que Henrique et Jaime consolidèrent entre 1985 et 1993 en intégrant à ce troupeau des vaches et des reproducteurs achetés auprès de Cabral Ascensão lui-même en totale reconstruction à cette époque-là ; reconstruction élaborée surtout à partir de bêtes d’Oliveira Irmãos. À cet ensemble très Pinto Barreiros, le père et le fils ajoutèrent une trentaine de vaches achetées à l’élevage de José Manuel Andrade et d’origine Alves do Rio, soit le bon vieux Tamarón / Gamero Civíco (via Domingo Ortega) portugais agrémenté de l’incontournable pointe de Pinto Barreiros. Quand on se prend à vouloir écrire sur l’histoire des ganaderías contemporaines ou même passées, certaines dates deviennent de colossaux repères chronologiques, des fondamentaux à partir desquels l’évolution des élevages, souvent lente quand le temps s’étire avec normalité, s’accélère et transforme le territoire bravo pour les décennies à venir. L’exemple de l’année 1920 est à ce titre extrêmement concret : c’est la date à laquelle Agustín Mendoza y Montero de Espinosa, Conde de la Corte, acheta le fer, et tous les droits inhérents qui s’y rapportaient, à la Marquesa de Tamarón qui, depuis 1912, était propriétaire d’une des quatre parts de l’héritage de Fernando Parladé. L’aficionado lambda le sait, du Conde de la Corte naquirent les descendances Atanasio Fernández et surtout Domecq. Pour autant que les dates soient vraies, c’est un Portugais qui eut l’idée, avant le Conde de la Corte, d’acheter du bétail auprès de la marquise, sur les conseils, semble-t-il, de l’immense figura d’époque que fut Joselito, ami du ganadero qui se nommait José Martinho Pereira de Lucena Alves do Rio. C’était en 1919 même si les différentes références bibliographiques ne s’accordent pas sur le début de sa ganadería, certaines confondant la naissance de cette nouvelle ganadería d’Alves do Rio (il en détenait une avant 1919 dont il élimina toutes les bêtes) avec sa prise d’ancienneté à Madrid le 13 septembre 1925. Dans un récit de séjour au campo passé sur les terres d’Alves do Rio en 1924, un certain Motta Cabral révèle que tout commença en 1919 et que la première course lidiée le fut en 1923 avec une novillada envoyée à Barcelone – elle se révéla triomphale – et dont tous les astados étaient les fils d’un Tamarón nommé ‘Calcetero’. Il ajoute que le ganadero acheta par la suite un semental à Gamero Cívico, ‘Revoltoso’. Avant Pinto Barreiros, Alves do Rio avait fait entrer la modernité parladeña au Portugal. Le crépuscule des Alves do Rio est moins flamboyant, c’est le moins que l’on puisse écrire. A priori ruiné — en particulier par son élevage —, Alves do Rio se suicida en septembre 1931 et ses héritiers ne mirent pas deux années à revendre en plusieurs lots le gado bravo familial. Les deux principaux, en tous les cas ceux que les généalogistes taurins ont mis en exergue, furent celui dont se rendirent acquéreurs les frères Joaquim et Manuel d’Assunção Coimbra ainsi que celui acheté par Eloy Sánchez Hidalgo qui acheva son périple sur les terres du marquis de Albayda. Parmi les lots qui ont moins retenu l’attention de nos littérateurs, celui qui échut aux irmãos Andrade nous intéresse. Détenteurs d’un élevage à la fin des années 1920 pour lequel ils firent l’acquisition de bétail en 1929 auprès de Casimira Fernández, veuve de Soler (donc mélange fondé sur du Jijón), les frères Andrade (originaires d’Almeirim) se mirent à la page dans les années 1930 en jetant leur dévolu sur des restes des Alves do Rio mélangés avec un semental de Domingo Ortega (Gamero Cívico) et d’autres de Pinto Barreiros. Le Parladé à perte de vue ! Ils augmentèrent le tout de bétail acheté auprès d’Alberto Cunhal Patrício qui détenait du… Alves do Rio, chose aisée pour lui qui en était le gendre. Il semblerait qu’à côté de leurs Parladé, les frères Andrade varièrent leur bétail en intégrant de l’Urquijo dans les années 1950, Urquijo mené séparément. C’est en 1958 que la ganadaria est divisée en deux lots : le Parladé d’un côté qui atterrit entre les mains du fils de Joaquim Alberto Andrade, j’ai nommé José Manuel Martins Andrade et le Murube de l’autre qui va à Maria Manuela Andrade Salgueiro (sa soeur on imagine).
Quand les Herculano achetèrent trente vaches à José Manuel Andrade pour les mélanger à leurs « Infante da Câmara » originels, ils firent certainement affaire avec les fils de celui-ci : Francisco et José Lima Monteiro Andrade — leur mère descendait de la famille ganadera des Lima Monteiro. C’est en 1993 que décèdent José Manuel Andrade ainsi que Henrique Herculano et son fils Jaime. Il n’y a aucun lien entre ces morts si ce n’est cette date qui sonne le tocsin de l’élevage Silva Herculano. Car tout fut vendu : le fer et le bétail qui ne survécut pas à un problème sanitaire quelques temps plus tard. C’en était fini de la très courte aventure brava de la famille, elle rejoignait le silence éternel qui servait de linceul à Henrique et à son fils Jaime, père d’Henrique. Pourtant, en soulevant un coin du linceul, l’on découvrit cinq vaches et un novillo. Les vaches étaient de la ligne Cabral Ascensão et le mâle, lui, de cette vieille race des Alves do Rio. L’espoir tient à peu de choses pour entretenir l’afición et Henrique, fils de Jaime et petit-fils d’Henrique, prit la décision folle de fonder son église sur ces restes dérisoires qui n’étaient que poussière. Pour occuper son novillo noir et blanc qui se nommait ‘Areoso’, il acheta à son ami Simão Malta Junior quelques vaches de ligne Cabral Ascensão avant que celui-ci ne revende la ganadería de son père défunt, Simão Malta, à Joaquim Alves : le fer deviendrait l’actuel São Torcato. Petit à petit, la poussière devint terre puis chemin. En 2008, un autre ami, le ganadero José Varela Crujo, lui offrit un toro d’origine Torrestrella (via Laurentino Carrascosa) qui avait été toréé par Enrique Ponce à Campo Pequeno en 2007 et que l’éleveur avait désiré conserver comme reproducteur. Un frère de ce dernier fut rapidement adjoint pour couvrir les Cabral Ascensão / Alves do Rio de la ganadería de Silva Herculano qui retrouvait son fer en 2010 lorsque Henrique le racheta pour concrétiser pleinement la résurrection
Henrique a la tête sur les épaules et pour seule ambition de donner du grain à moudre à son immense afición. Ses mots sont simples, posés, bien choisis. Ils sont clairs aussi. Surtout. Ils disent, derrière une timidité bien maîtrisée, derrière une vraie conscience des difficultés du métier, derrière une totale humilité, à quel point la vie ne serait pas la même sans ces matins brumeux au loin desquels la nature fait silence quand hurlent les toros. Le chant du monde…
à suivre…