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Aucun bouquet ne vaut pour moi… (VII)

LL-FpalhajosepalhablancoFernando Pereira Palha n’évoque jamais cet ancêtre. Lui qui donne pourtant au respect des anciens — qu’ils fussent hommes, femmes ou temps — un caractère aux bornes du religieux paraît avoir arrêté son échelle du temps à 1873 — en ce qui concerne les toros de la famille. António José Pereira Palha de Faria Lacerda n’a pris part à nos conversations qu’une seule fois, par hasard, par erreur, sans même être prononcé. En observant la peinture d’un toro blanc marqué du fer originel avec cet étrange « 8 », il murmura à lui-même plus qu’à son interlocuteur : « Ce n’est pas lui… » Il n’a pas précisé s’il évoquait António José Pereira Palha, mais sa manière de raconter le fils de celui-ci, son arrière-grand-père, ne laissait aucune chance au doute.

Le fils d’António José Pereira Palha est né en 1854. Il était petit, frêle, fragile comme du coton et vivant pour l’instant. Il aurait dû mourir en 1854. Il est mort en 1937. La vie, parfois, ou la mort, c’est au choix, se trompent autant que les hommes. Tant mieux. Cet enfant qui n’aurait pas dû vivre se nommait José Pereira Palha Blanco. Portugais, il aurait dû se nommer José Pereira Palha Branco avec un « r », mais sa mère était espagnole et en espagnol le blanc s’écrit avec un « l ». Elle était de Málaga, avec un « l » aussi. Il aurait même dû, pour être précis, s’appeler José Blanco Pereira Palha. Voire même José Rodríguez Pereira Blanco, car la Malagueña était Laura Rodríguez Blanco. À ce stade des présentations, il est l’heure, cher lecteur, d’éclairer votre lanterne.

Selon la coutume portugaise, il convient de porter en premier le nom de la mère, puis ensuite celui du père, alors que chez les voisins espagnols l’inverse prévaut. Ainsi,  les enfants de Maria do Carmo Pereira Palha et de Fernando Van Zeller Pereira Palha constituent-ils la branche Pereira Palha (la mère) Van Zeller (le père), alors que les enfants de Constantino Pereira Palha et de Maria do Patrocínio Van Zeller forment, eux, la branche cousine des Van Zeller Pereira Palha. Les choses pourraient être simples si la famille n’avait pas pris l’habitude de pratiquer les mariages entre cousins issus de germain tout au long des générations. Néanmoins, la coutume patronymique a parfois bon dos et, finalement, quand les noms de famille deviennent aussi longs qu’une nuit polaire, chacun semble faire à peu près ce qui lui sied le mieux.

José Pereira Palha Blanco fut un personnage — dans le sens noble du terme — présenté comme tel dans tous les ouvrages taurins et en particulier dans celui qui a approfondi avec le plus d’exhaustivité l’histoire et l’influence de celui que tous considèrent comme « le » Palha : Palha, alchimie de la bravoure de Pierre Dupuy — il faut reconnaître la qualité de ce que l’ancien directeur de la revue Toros, ami de l’actuel ganadero João Folque de Mendoça, a réalisé en écrivant ces pages sur la ganadería et sur son créateur ; pages devenues des références.

Quand on arrive à Vila Franca de Xira, l’empreinte de José Pereira Palha Blanco et de sa descendance est de suite palpable, un rien ostentatoire si l’on veut être franc. Entre la gare et le Tage, le jardim municipal Constantino-Palha accueille les enfants qui partiront un jour et les papys qui, eux, sont revenus pour voir filer le temps qui reste à la surface de l’eau. Dans le centre du bourg, une rue porte le nom d’António Palha. Au sud, effleurées par la voie ferrée qui vient de la gare bleue de Lisbonne, les arènes se nomment Praça de touros Palha-Blanco. Sur la plaque inaugurale, on apprend que la praça fut « edificada en 1901 pela sociedade fundadora da praça de touros de Vila Franca entregue a beneficiencia local pela associaçao do Asilo-creche Afonso d’Albuquerque ».

Ce ruedo porte le nom de Palha Blanco, car c’est lui, José Pereira Palha Blanco, qui impulsa sa construction en 1901. L’histoire a retenu que ces arènes furent construites en dur — avant elles, Vila Franca de Xira avait connu l’existence de trois praças de touros toutes faites de bois —, en seulement six mois, et financées par une société fondée par le sieur Palha Blanco et dans laquelle l’aristocratie locale ne manqua pas d’ajouter certains patronymes connus dans le monde des toiros de l’époque. L’objectif de la démarche, outre le goût de la chose taurine, était de financer cet « asilo-creche » destiné à accueillir les orphelins dont les parents avaient été victimes de l’épidémie de peste qui touchait alors le pays.

peste2Car, en 1899, la pandémie se rappelait au bon souvenir de l’Europe. Les historiens estiment que cette peste pulmonaire ou bubonique — les sources à ce sujet ne sont pas concordantes, et l’on trouve des références aux deux formes de peste — serait apparue en Chine, en 1855, mais ce n’est réellement qu’à partir de 1894 qu’on la localise à Hong Kong et Canton. Aidée par les effets de la révolution industrielle qu’ont connue les sociétés occidentales au cours du XIXe siècle, elle utilise alors tous les moyens de transport modernes pour se diffuser dans le monde entier : c’est ainsi qu’elle frappe Suez, en 1897, puis l’Égypte, le Portugal, la France et les îles Britanniques, en 1899. De vieux journaux de l’époque relatent la nouvelle de son arrivée au Portugal comme un fléau que le vieux continent croyait prisonnier des griffes d’un passé révolu. Débarquée à Porto, elle obligea les habitants à brûler les maisons pour éradiquer les velléités morbides du mal… et la mort fit son choix.

Le 30 septembre 1901, cela va de soi, José Pereira Palha Blanco assistait à la corrida inaugurale de « sa » plaza. Sur une photographie prise ce jour-là, on le voit au premier plan, déjà dans la force de l’âge, la barbe drue et la stature imposante. Sous ses yeux de « petit père du peuple » combattirent à la mode portugaise douze toros fournis par les ganaderías de Luiz Patricio, Paulino da Cunha e Silva, Marquês de Castelho Melhor, António Vicente Santos, Eduardo Marquês et, sans surprise, Palha Blanco.

Quand il décéda, en 1937, les arènes prirent, naturellement serait-on tenté d’écrire, son nom. Les silences de Fernando Palha en disent aussi long sur le respect qu’il porte à son aïeul que la foule de récits dont il est devenu le passeur. C’est le toro de son arrière-grand-père après lequel il court, après lequel il rêve, après lequel il se lève chaque matin pour rejoindre sa campagne et contempler son parterre de fleurs. Souvent, les Quinta da Foz, les Herdeiros de Maria do Carmo Palha, puis les Fernando Palha furent ou sont encore annoncés comme Veragua. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un coup d’œil aux présentations des carteles de l’Association des aficionados cérétans (Adac), d’ouvrir les pages de certains livres, de lire diverses chroniques. Pour autant que cela recèle une part de vérité, la quête de l’arrière-petit-fils s’apprécie certainement plus à l’aune de l’admiration et de la vénération de celui-ci pour l’œuvre ganadera de José Pereira Palha que dans la quête incertaine  de la pureté d’un encaste — si tant est que l’on puisse considérer le Veragua comme un encaste…

  1. Anne-Marie Répondre
    Qu'est-ce qu'il tenait entre ses doigts ?

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