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Barcelone

Je traverse d’un pas pressé la plaça de les glóries catalanes, en travaux. Il fait frais mais pas froid et la lumière est claire, limpide, inhabituelle dans cette métropole polluée.
Je veux revoir la Monumental. J’emprunte les rues adjacentes dans lesquelles nous avions l’habitude de nous garer. Très vite j’aperçois en contrebas les dômes bleus et blancs.
Je m’approche et immédiatement les souvenirs affluent. C’est inattendu, il y a une véritable émotion à se trouver là, de manière presque imprévue, la gorge nouée.
Je revois parfaitement José, le soir où Tomás gracia «idílico», nous expliquer que non, il ne marchait pas.
 Je remonte le temps, pour une inoubliable corrida de Cortijoliva avec un Fernando Cepeda inspiré comme rarement. C’était l’été, peut-être septembre, il faisait chaud et moite.
Devant la grande porte un couple se prend en photo. Ce sont forcément des aficionados. Je m’en étonne et je contemple le carré de trottoir où se postaient les antis. Tout est vide. Je me place en face, juste en face, là ou la police nous ordonnait de circuler. Je m’assois sur un banc pour contempler les guichets abandonnés.
Les panneaux où jadis on annonçait les prochaines corridas me sautent à la figure. Ils sont blancs, aveugles, désespérément blancs.
Quelques jours plus plus tard, pas loin de là, la police fera évacuer un square. Des aficionados avaient eu la malencontreuse idée de s’y réunir pour une séance de mime… toreo de salon.
 A Barcelone ce n’est pas l’état d’urgence. C’est juste la mairie fasciste qui l’année d’avant avait refusé que le worldpress photo soit annoncé dans ses rues par la photo d’un torero. 
L’obscurantisme et la censure sont d’actualité.

Une semaine plus tard, sur les bords du Rhône, toujours la même lumière, mais il fait froid. Je m’engouffre dans la librairie d’un prestigieux éditeur, d’un très prestigieux éditeur.
Avant d’aller fouiner au rayon «photographie» je passe par le rayon taurin avec l’envie d’y découvrir le dernier livre de notre chère Joséphine.
 Il faut savoir que les livres de photographes auteurs consacrés à la tauromachie n’ont pas droit au rayon photographie. Il sont assignés à résidence au rayon taurin. Et on ne sort pas de là.
Le rayon taurin taurin a disparu. Il a laissé place à des livres de cuisines, et quelques uns sur la Camargue.
Les livres taurins ont été avalés par le mur, on n’en voit plus que la tranche, pas la moindre couverture. Ils ne sont plus exposés aux regards. Ils sont presque cachés, étouffés, comme l’on voudrait étouffer un accent trop sudiste.
Je me rends compte à quel point la tauromachie est un ghetto, un ghetto dont elle ne sort que très occasionnellement, un ghetto auquel elle semble être définitivement condamnée. Je me demande même si la tauromachie n’est pas déjà un cadavre…

Où en sommes nous alors ? Forcément en ce point calamiteux : nous avons été vaincus, dépossédés de tout et repoussés du mauvais côté de la frontière. Notre monde semble bien en effet être celui des perdants, du bric-à-brac d’après la débâcle, enjoliver la réalité n’est rien de plus que maquiller un mort et l’offrir au ridicule. (Boualem Sansal – 2084 – Gallimard)

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