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Pincha au pays des piquillos

La Navarre est schizophrène. Au nord de la capitale Pampelune, l’arbre est roi. La forêt épaisse comme un tapis de mousse disproportionné dissimule les dizaines de cours d’eau dont le cliquetis concurrence les chants rauques de créatures légendaires comme le Basajaun. La pierre lourde encadre les fenêtres, l’etxe (la maison) a été pensée pour des Gargantuas locaux parce que la famille est grande et que la famille, ici, c’est la maison et vice-versa.
Au sud, une quarantaine de kilomètres vers le soleil, le paysage s’adoucit, s’aplatit, s’assèche. Le vide prend ses aises, le jaune s’impose au vert, la Méditerranée ramène sa fraise le long du cours de l’Ebre. On parle encore basque, mais moins. Lodosa se trouve là, dans la Ribera de l’Ebre, non loin de la Rioja, construite le long d’une falaise beige qui pourrait être sable et s’écrouler d’un coup. Un interminable vallado accueille le chaland, les fêtes débutent dans quinze jours, on n’est jamais trop prudent. Lodosa s’enorgueillit de produire des piquillos et de tenir les toros braves en laisse. Ailleurs, on parle de toro enmaromado, de toros a la cuerda, ici on dit toro ensogado et la coutume remonterait au XIX° siècle. Comme il faut bien gâter les saints patrons, au cas où, et comme certains dans le coin avaient l’idée étrange de tenter d’élever des petits toros rouges et méchants, les habitants de Lodosa n’hésitèrent pas longtemps pour décider que le cadeau serait un toro sauvage et non pas une poule, une chèvre, une perdrix ou un piment. Depuis, on continue d’offrir au saint patron, une vierge des angoisses en l’occurrence, un toro le troisième dimanche du mois de septembre. Si ce qu’écrivent certains historiens est vrai, les premiers toros ensogados donnés à Lodosa – la tradition existe dans d’autres coins de Navarre, et certains cas sont attestés depuis le Moyen-âge – venaient d’une finca infertile sur laquelle un bonhomme du cru faisait pousser des navarrais sans fer et sans postérité, donc. On venait chercher l’offrande dans ses prés et on la ramenait fissa à la Virgen de las Angustias non sans avoir, au préalable, fait les guignols devant la petite furie parce qu’il faut bien épater les gonzesses.
Aujourd’hui, les toros rouges ont déserté ou presque mais cette terre reste brava. Elle se fait renifler par deux fers appartenant au même éleveur, José Antonio Baïgorri : El Tolco (vaches d’origine Puerto de San Lorenzo – croisement actuel avec un toro navarrais de Miguel Reta) consacré aux rues et Pincha (bétail d’origine marquis de Domecq) dévolu à la lidia à pied en novilladas sans et avec picadors. Cela fait vingt cinq ans que le ganadero bosse en solitaire avec l’idée de sortir des combattants dignes de ce nom et du goût de la terre qui l’a vu naître. A lire les reseñas des novilladas piquées sorties en 2015, en particulier celle de Peralta, il paraît clair que les efforts et les sacrifices commencent à payer — quelques jours après l’écriture de ces lignes, la ganadería de Pincha a triomphé à Lodosa avec deux novillos récompensés par une vuelta al ruedo dont le dernier prit quatre piques.
Alors Domecq (mais marquis), alors fundas (le point noir de notre visite, ce qui explique que vous ne verrez dans la galerie quasiment aucun novillo de la canada 2016), c’est vrai. Mais les toros sont ce qu’en font leur éleveur et ici, dans cette propriété au cachet très far west, José Antonio Baïgorri a la sagesse de ne pas vouloir aller trop vite. Peralta, Lodosa, c’est chez lui, c’est à côté. Pampelune, Bayonne, la France du toro, c’est un ailleurs qu’il observe comme on contemple l’horizon en se disant que New-York est au bout du possible et qu’un jour on ira.

  1. Anne-Marie Répondre
    Toujours sublime récit. Mais du Domecq c'est du Domecq. Et des fundas,ce sont des fundas.et ce n'est pas bien. Quant à New-York. ..il y a des cornus là-bas? Pour moi, en égoïste, ce sont les Iscles qui sont au bout du bout de tous les possibles. Trop beaux les Iscles. Et je n'irai pas à New-York avec toi puisque tu n'aimes pas les toros. Bien vu LL, j'ai pu passer mon message perso !

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