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Le rondeau du Tío Pepe

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Les prix et récompenses de fin de saison n’ont jamais été pris avec grand sérieux (avec sérieux tout court d’ailleurs) par les aficionados qui composent l’équipe aujourd’hui endormie de Campos y Ruedos. Pourtant, au détour de nos maintenant rares lectures concernant le monde taurin, nous apprenions la semaine dernière que l’honorable F.S.T.F. (présidée depuis 2014 par Dominique Valmary) avait décerné son prix Tío Pepe à André Viard en tant que « maître d’œuvre du Musée Itinérant des Tauromachies Universelles, du documentaire Tauromachies Universelles et du Colloque l’homme et les animaux, vers un conflit de civilisation ? ». Rappelons à toutes fins utiles que le prix Tío Pepe fut créé pour mettre en exergue « celui ou ceux, personne morale ou physique, qui ont oeuvré dans l’esprit de Jean-Pierre Darracq El Tío Pepe » connu de tous les aficionados a los toros qui lisent encore un peu sur papier. Il est difficile de savoir si les morts ont encore cette étrange habitude de se retourner dans leur tombe quand les vivants déconnent aux quatre vents mais il ne nous surprendrait pas que le massif Tío Pepe se soit lancé dans un rondeau (danse traditionnelle landaise) endiablé à l’annonce de ce prix.
Car faire de monsieur Viard le récipiendaire de ce prix et donc d’une certaine manière de l’esprit aficionado du Tío Pepe ne laisse pas de nous étonner. Quand l’un fut pédagogue — relire Afición —, l’autre n’arrive à atteindre qu’un sophisme désagréable au nom de la lutte pour la défense de la tauromachie. La Fédé est-elle prête à tout valider pour l’unique raison qu’il faille défendre mordicus la tauromachie ? La passion justifie-t-elle toutes les dégustations de couleuvres ? Ou alors la Fédé est parfaitement à l’image d’un landerneau taurin partiellement incapable de réflexions allant au-delà de son obsession à vouloir par tous les moyens justifier l’existence anachronique de la corrida ?
Le montage vidéo concocté par André Viard et communiqué comme étant un documentaire sur les Tauromachies Universelles ne mérite pas d’être ainsi mis en avant par ce prix Tío Pepe malgré ce que le président de la F.S.T.F. écrivait à son sujet en septembre 2016 le considérant (avec le Musée itinérant) comme « de qualité unanimement reconnue » 1. À moins que l’unanimité ne se comprenne chez monsieur Valmary comme l’ensemble des personnes qui sont d’accord entre elles à l’exclusion de celles et ceux qui pourraient avoir envie d’émettre des avis divergents (référence faite ici à un texte sien sur « le masochisme des foreurs taurins de l’extrême ») ?
Nous l’avons déjà écrit mais les thèses avancées par monsieur Viard, tant dans sa revue papier que dans son « documentaire », ne passent pas la rampe d’une démarche conçue avec un minimum de sérieux scientifique. C’est pourtant sous ce biais que fut présenté en son temps le projet mené par l’U.V.T.F. et l’O.N.C.T. de mettre en place le Musée itinérant des tauromachies universelles et le film Tauromachies Universelles. Sur la plaquette promotionnelle, l’objectif est clair : « tous deux racontent l’histoire de la relation entre l’Homme et le taureau sur le pourtour méditerranéen depuis le premier témoignage graphique jusqu’à aujourd’hui. {…} D’une grand rigueur historique, le récit des différentes tauromachies primitives est présenté de manière chronologique {…}. Une même rigueur scientifique préside à l’exposé… ». En d’autres termes, il s’agit d’un documentaire d’histoire (on englobera la Préhistoire en ce cas) et cette discipline scientifique ardue intéresse encore quelques individus auxquels monsieur Viard ne rend absolument pas hommage, au contraire même.
L’exposé initial sur l’homme de la grotte de Villars qui serait le premier torero de l’humanité donne le ton (mauvais) de l’ensemble. Même en prenant en considération le fait que 70 minutes de film ne peuvent être qu’un outil de vulgarisation, il est impensable d’oser affirmer avec tant de facilité et d’assurance ce que représentait cette scène de la grotte de Villars (tout comme celles du Roc de Sers et de Lascaux). S’appuyer sur la figure tutélaire de Leroi-Gourhan facilite la tâche ou donne l’illusion de sérieux mais déjà Charrière fait tiquer. Interrogés récemment, un archéologue et un anthropologue spécialistes de la Préhistoire ont souri gentiment en entendant cette interprétation : eux se sentaient plus humbles face à des représentations qui ne peuvent que susciter des questions, des interrogations, des hypothèses et parfois des interprétations qui ne se conçoivent qu’au pluriel et non pas sous le joug d’un singulier péremptoire.
La suite du pseudo documentaire lu par Joël Jacobi et Alice Faure recèle son lot de petits arrangements avec l’Histoire. Il est mentionné une coupe dans laquelle des rois celtes auraient bu du sang de taureau, coupe qui « deviendra la Saint Graal dans la littérature médiévale ». Dit ainsi c’est édifiant mais au regard de l’étendue des controverses existantes entre spécialistes sur les mythologies et rituels celtes et sur les origines du Graal, le raccourci se résume cette fois encore à une négation de l’esprit scientifique exigé. Plus loin, en pleine évocation de l’Empire romain né en 27 avant J.C, c’est une fresque étrusque datée de 540 avant J.C qui sert d’illustration au discours. Ici encore, « le sacrifice de Blandine aurait perpétué l’inimité de l’Église contre les jeux taurins », inimité de papes du XVI° siècle (Pie V surtout) qui voyaient tout simplement d’un mauvais oeil des chrétiens se faire percer la couenne par des bestioles à corne plutôt qu’être relevés de la vie par le créateur himself. Là, c’est Pépin le Bref qu’on aurait fait roi au VIII° siècle après qu’il eut démontré sa bravoure face à un taureau furieux. La voix off ne précise pas qu’il s’agit d’une légende construite des siècles plus tard. Enfin, passons sur la « Navarre espagnole » de Henri IV et sur la corrida « fille des lumières ». En soi, cette liste ne serait qu’une énumération de petites erreurs et/ou d’interprétations douteuses si le mal n ‘était pas plus profond.
Sans dénier l’idée que le taureau fut un élément central de nos civilisations occidentales, dans ses aspects mythologiques, légendaires ou culturels, il s’avère outrancier d’en faire l’alpha et l’omega de notre monde. À écouter Viard, tout vient de lui, tout part de lui, il conduit à tout. C’est dans cette démarche de faussaire que le président de l’O.N.C.T. demeure ce qu’il est depuis des années : une personne d’une grande malhonnêteté intellectuelle.
Son projet fait penser à la proposition d’un futur candidat à l’élection présidentielle qui voudrait que l’on enseigne une sorte de roman national parsemé de figures, de grands hommes, de récits grandiloquents, tous prompts à susciter l’amour de la patrie dans le coeur de nos chérubins. Viard fait la même chose avec le taureau : les sources ne sont pas interrogées, elles sont interprétées selon l’unique objectif de prouver quelque chose a priori, en l’occurence que notre monde est le monde du taureau. Son histoire est le roman du taureau comme l’histoire de ce candidat sera le « roman national de la France » et cette histoire pondue par Viard sent trop fort l’édification forcée et malhonnête d’une justification. L’histoire n’est pas un roman.
Le générique de fin remercie la bibliothèque Carriquirri et Bartolomé Benassar (un historien). Point de bibliographie, point de références vers lesquelles se tourner pour fouiller, réfléchir, s’immerger de savoirs. Viard a fait la synthèse pour nous tous, ne cherchez pas plus loin. Il reprend là ses méthodes utilisées pour tous ses « opus » : vouloir faire de l’histoire sans citer ses références, ses outils de recherches et parfois ses sources. La « rigueur scientifique » mise en exergue dans la plaquette promotionnelle a bon dos, comme lacérée par les coups de cornes d’un manso sin casta. Viard chemine dans les courants contraires de ce qu’exige la science de l’Histoire.

Il n’est pas ici question de porter un avis sur l’existence de ce film et de ce Musée. Ils existent. Point.
Mais ils existent mal et en voulant faire le roman du taureau omniscient à tout prix, ils sacrifient le peu d’honnêteté intellectuelle que conservait le microcosme taurin. Et il est scandaleux en plus et au final de sacrifier la beauté et la rigueur scientifiques de l’Histoire pour l’écriture d’une oeuvre qui s’achève en petit film animé de propagande.


  1. Valmary (Dominique). Être inerte, c’est être battu. Éditorial de septembre 2016 in F.S.T.F. http://www.torofstf.com/content/lédito-de-dominique-valmary-septembre-2016
  1. Anne-Marie Répondre
    Et bien ! Pour un endormi ! Chapeau. Un petit coup de Viard, et cela réveille tout le monde !
  2. JotaC Répondre
    Et c'est qui qui finance tout ça dans la clarté et la transparence, c'est qui, hein ? Cette année c'est le prix Tio Pepito qui a été décerné, ça laisse plein de miettes partout et à la fin on est chocolat !
  3. MURCIELAGO Répondre
    Bien envoyé ! "l'équipe endormie" ? Réveillez-vous, c'est le moment !
  4. Anne-Marie Répondre
    CyR n'est pas dormir. CyR est réfléchir. CyR est raison.
  5. Anne-Marie Répondre
    J'y pense : qui est le merveilleux Picasso ?
  6. patrick Sabatier Répondre
    le peu que j ai pu lire sur les analyses des fresques préhistoriques m a toujours laissé dubitatif avec l impression que A Viard allait un peu trop vite et cherchant surtout a justifier coute que coute la légitimité de la corrida. il me parait également que lui décerner le prix Tio Pepe, ce grand Monsieur intègre qui a toujours défendu avec intelligence la tauromachie, n est pas ce qu a fait de mieux la FSTF. A propos de prix, je suis toujours étonné que l on décerne le prix Claude Popelin,, étonné que personne ne dise rien de ce que fut cet homme par rapport aux idées qu il a défendues pendant la 2eme guerre mondiale en France (PPF parti collaborateur) et ses positions politiques pendant la guerre d'Espagne. Ce prix me parait être le prix de la honte, et malgré que Popelin soit un vrai connaisseur en tauromachie, il ne devrait plus être décerné par rapport a son passé politique. PS 13300
  7. Laurent Larrieu Répondre
    Monsieur Sabatier. J'avoue que je ne m'étais jamais penché sur la biographie de Claude Popelin. De ci de là il est possible de trouver quelques éléments qui laissent à penser qu'il ne fut pas, en effet, un chantre du camp républicain espagnol ni d'une France résistante face à la dictature de Vichy et aux nazis. Et c'est un euphémisme. Il semblerait aussi que ce soit sa femme qui ait suggéré la création d'un prix à son nom. Vous avez éveillé ma curiosité et je vais me donner un peu de temps pour chercher d'autres références sur le sujet. On en recause...
  8. MURCIELAGO Répondre
    Lisez ses mémoires "Arènes politiques" (Fayard, 1974).
    • patrick sabatier Répondre
      Après plusieurs semaines de recherches, il est bien difficile de trouver ce livre de mémoires . N arrivant pas à me le procurer, pouvez vous,Murcielago, en dire quelques mots sur le fond? Patrick Sabatier 13300 Salon
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