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Fraile en Sangüesa

Le jour se lève à peine sur le nord de l’Espagne et seuls quelques 4×4 de chasseurs bourlinguant leurs chiens en remorque s’aventurent dans la fraicheur matinale. C’est à chaque fois le même rituel quand on traverse les Pyrénées pour se rendre en Navarre; l’encierro matinal nous faisant lever aux aurores, on comble les longues heures de route en débattant, toujours avec un peu d’appréhension, sur le scénario de la journée. Ce dimanche sont annoncés quatre toros de Juan Luis Fraile pour la clôture de la feria de Sangüesa, petit pueblo sans prétention au nord-est de la Navarre, dernier rempart avant le quasi désert tauromachique du nord de l’Aragón.
9h02 et pas plus de 5° degrés quand retentit le second chupinazo, libérant le cortège dans un petit tracé de 500 mètres reliant l’église à l’arène, tout un symbole. Pas mal de monde dans la partie finale montante où il fut assez dur de bien se placer, il y aura d’autres occasions… L’encierro très rapide laisse présager de bonnes choses pour la soirée. Pourtant, l’élevage de Juan Luis Fraile ne prête pas forcément à la confiance quand on passe en revue les dernières sorties, plutôt mitigées dirons-nous, des pupilles d’origine Graciliano. On comprend aussi l’importance de la corrida du soir dans les dires du mayoral, lui qui n’a lidié avant ce jour que six toros en 2017 et dont la camada ne semble guère plus étoffée l’an prochain.
L’attente jusqu’au soir fut assez animée et se résuma à un enchaînement de copas et pintxos en terrasse du Bar Leire, calle Mayor ; bar dont la spécialité semble être la friture, sous toutes ses formes et avec une mention spéciale au beignet de txipiron et crevette, sublime ! La banda du coin fait danser le village sous le regard bienveillant et amusé des mamies installées au milieu de la rue. Le joyeux vacarme se calme peu à peu et prend la direction des arènes, mélange sans charme de brique et de fer aux airs de portative qui se remplira, comme il est de coutume ici, dans les cinq dernières minutes précédent le paseo.
La corrida, très asaltillada pour du Fraile, avec du trapío et astifina est un pur bonheur pour l’aficionado dans son comportement. Tous les exemplaires sortirent, et à différents degrés, mansos. Cherchant à visiter le callejón et se retournant avec dédain à l’approche des capotes, ils ne se fixèrent qu’en fin de premier tiers. Pour trois d’entre eux, ils s’employèrent à déplacer des piqueros juchés sur des mammouths d’un autre siècle. Tous prirent deux piques. Le premier eu la malchance de tomber sur un ‘Guerrito’ complètement dépassé par la caste vibrante et la charge exigeante du Fraile, et pour qui le seul recours fut de démontrer tant bien que mal les défauts pourtant inexistants du toro. Le président, conciliant, lui évite un 3ème avis après deux épées et moult descabellos à un bicho mourant en brave et bouche fermée. Le 2 est de la trampe du premier et eut à faire à un Joselillo méritant et combatif lors d’une faena exclusivement droitière, primée cependant généreusement de deux oreilles. Les 3 et 4, un ton en dessous, mais deux tons au-dessus de la plupart des toros que l’on voit ces derniers temps, ne firent que confirmer le naufrage de ‘Guerrito’ muleta en main ; et l’envie communicative d’un Joselillo dans son registre mais sincère (une oreille au dernier). Ce dernier ouvrira une grande porte méritée, qui ne fera certainement que peu d’écho, et on ne peut que le regretter.
En repartant des arènes, le bonheur du mayoral nous croisant juste avant de s’engouffrer dans sa voiture faisait plaisir à voir et réconforte l’afición avant un trop long hiver qui se profile.

Romain Lacau (texte et photographie)

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