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Obri(gado) bravo XIV


Épisode XIV : Infante da Camara >>> Ribeiro Telles / Vale Sorraia (encaste propre).


La troisième et dernière part des frères Centeno Infante da Câmara, celle d’Emilio, fut achetée en 1964 par un de ses hommes d’exception qui ont fait le renom du Portugal taurin : David Manuel Godinho Ribeiro Telles. L’achat de la ganadería d’Emilio n’était, pour le centaure, qu’une opération destinée à agrandir son entreprise ganadera et à lui permettre de s’ouvrir les portes des marchés taurins espagnol et français. Ainsi, le fer fut modifié et l’on envoya au matadero les pupilles d’Infante pour les remplacer vite fait bien fait par du Pinto Barreiros élevé dans le souci de favoriser l’ascendance Suarez plutôt que celle Conde de la Corte. Le fer utilisé pour marquer les bêtes de ce nouvel élevage, un J et un R imbriqués l’un dans l’autre et comme dessinés à la main, était l’héritage du grand-père paternel de David Ribeiro Telles, Joaquim Ribeiro Telles. La naissance de ce nouvel élevage ne signifiait pas pour autant la mort de son premier fondé en 1948 sous le nom de David Ribeiro Telles e Irmão (Joaquim) et dont on peut penser que mestre Ribeiro Telles éprouvait à son égard une tendresse toute particulière : c’était l’élevage de ses débuts et l’héritage de ses parents. En 1948, le fer choisi est celui hérité par l’autre grand-père, le maternel, celui pour qui David Ribeiro Telles avait une affection profonde, celui qui lui avait appris à monter à cheval : David Luisello Cardigo Gondinho. 

La naissance d’une nouvelle ganadería en 1964 ne condamnait donc pas l’élevage originel à la mort. Malgré quelques années de flottement, le fer de David Gondinho réapparaît dans les années 1970 sous le nom de Vale Sorraia, les terres familiales de la quinta da Torrinha à Coruche étant traversées par cette rivière bientôt avalée par le Tage. 

Aujourd’hui, les deux ganaderías existent encore. Les toros de saca se trouve vers Vimieiro, sur la Herdade da Murteira, les vaches sont demeurées à Torrinha. Le fer du JR continue de voir grandir des Pinto Barreiros, croisés cependant avec du Domecq depuis les années 1990 —  Jandilla via Santiago Domecq — et dernièrement sont apparus des Murube, alors que celui hérité de David Godinho sert à marquer d’étranges toros souvent cárdenos, imposants, costauds, rares et destinés uniquement aux touradas. Ce sont les Vale Sorraia. Il eût été accommodant de penser que ces animaux aient pu présenter des lignes assez proches de celles de la vieille race portugaise, voire, même diluées, de celles des Veragua au regard des origines des bêtes à la naissance de la ganadería.

Or, la réalité est un peu plus nuancée. Les toros et les vaches de Vale Sorraia sont majoritairement gris et rappellent énormément certains astados asaltillados que l’on peut rencontrer dans les dérivations Buendía, pour le Santa Coloma, Albaserrada et, bien sûr, Saltillo. En allant plus loin, quelques exemplaires présentent des corpulences et même des têtes qui convoquent dans la seconde le souvenir des Pablo Romero (actuellement Partido de Resina). Pour autant, et c’est particulièrement vrai en ce qui concerne les vaches, la forme des cornes, presque cornipasas, montant droit vers le ciel, évoquent aussi la vieille race portugaise. À cet égard, la ressemblance qu’il est possible de constater entre certaines vaches de Vale Sorraia et celles de Rita Vaz Monteiro est par moment frappante. 

Une chose est certaine dans tous les cas : le Vale Sorraia originel composé de bêtes issues de Norberto Pedroso, Branco Teixeira et la vieille ligne veragüeña des Palha Blanco – c’est David Ribeiro Telles qui sauva ‘Chinarra’ et ses soeurs de l’abattoir et vendit leur descendance à son beau-frère Fernando Pereira Palha dans les années 1970 —  n’est plus celui que l’on peut contempler aujourd’hui à Torrinha ou à Monte da Herdade da Murteira, à côté d’Évora. Entre les années 1950 et 2010, l’apport Norberto Pedroso a clairement transformé un toro qui devait plus, à l’époque, aux origines parladeño-vazqueñas qu’à celles de Pedroso, cette dernière origine étant le fondement de l’élevage — a priori disparu depuis peu — des Irmãos Dias. De plus, si l’on s’en tient aux origines établies des Norberto Pedroso en 1911, il apparaît étonnant de trouver dans cet élevage des robes cárdenas. Or, le point commun essentiel entre les Dias et les Sorraia est justement ce pelage des animaux dont on peut se demander d’où il provient. Aucun ouvrage ne fait mention d’un apport Saltillo ou Santa Coloma dans l’élevage de Norberto Pedroso. Des esprits tatillons pourraient souligner que la robe cárdena faisait partie de l’échantillon classique des vazqueños à une époque — c’est quasiment une rareté aujourd’hui —, et ils auraient raison ; mais la proportion est allée en s’amenuisant avec le temps, et l’on peut avancer sans trop se tromper qu’un ou deux éléments vazqueños (ou croisés) cárdenos n’auraient pas essaimé leur robe sur l’ensemble du cheptel. La réponse la plus logique à cette énigme reste l’apport extérieur de bêtes certainement asaltilladas dans la ganadería de Norberto Pedroso. À quelle époque ? Par quel biais ? Dans quelles mesure et ampleur ? À ces questions, seul répond le secret du ganadero, et l’aficionado n’a que d’évanescentes supputations à proposer. La plus intéressante est de suivre la piste familiale. Époux de la sœur des héritiers Infante da Câmara, pourquoi ne pas imaginer que le sieur Pedroso s’en fut trouver ses beaux-frères, Emílio et José, lorsque ceux-ci tentèrent dès la mort de leur père (1923) un croisement avec un semental de … Saltillo. Au-delà, il ne reste que des conjectures. 

Enfin, en observant les Dias et les Sorraia, force est de constater que l’origine Pedroso n’a pas évolué de la même manière chez l’un ou chez l’autre. Plutôt petit et réduit, le Dias est loin du volume de certains Sorraia. Là, les explications avancées ici ou ailleurs, aux détours de livres rares, peuvent sembler crédibles. À voix basse, il se murmure dans le campo portugais que la famille Ribeiro Telles aurait renforcé l’apport Saltillo, venu d’on ne sait où, par un rafraîchissement avec des bêtes de Vinhas (Santa Coloma / Buendía), et qu’un croisement aurait été opéré avec un semental de Los Bayones, qui aurait servi à donner du coffre aux splendides Vale Sorraia actuels. Dans un livre édité en 2013 par quelque chose qui pourrait ressembler à la Chambre de commerce de la région du Ribatejo, livre intitulé Ribatejo, ass nossas ganadarias, l’auteur évoque l’acquisition en 1986 de vaches de Passanha (Murube), Ribeiro Telles et Irmãos Dias ; les apports Murube et Pinto Barreiros/Domecq pouvant justifier le plus grand tamaño des Sorraia. Enfin, et c’est toute la beauté du campo, il se susurre même qu’un toro de Moreno de Silva ou Moreno de la Cova aurait un temps gambadé sous les pins de Torrinha…

à suivre…

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