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A cuerpo limpio

Au fin fond du massif des Albères, le réseau passait encore. L’ultime course de Céret s’était achevée la veille.
La route de Cerbère nous tendait les bras. Gérone ou San Feliu de Guixols s’annonçaient comme futurs et probables bivouacs.
Au passage de l’ancien poste-frontière, muséographie vivante et désaffectée de l’avant-Schengen, la vidéo de l’estocade spectaculaire donnée la veille par Maxime Solera à « Huron », un novillo d’Urcola, s’afficha sur l’écran.
Au gré des commentaires, l’ami qui avait posté la vidéo se fendit du seul mot suivant: « Inutile ».

Si l’on considère les nécessités strictes de la lidia, c’est vrai, cette estocade « a cuerpo limpio », à corps découvert, est totalement inutile. Inutile aussi la réception du taureau « a porta gayola », comme le sont toutes les réceptions « a porta gayola »…
Inutile aussi le saut « a la garrocha », suerte aujourd’hui totalement disparue, spécialité d’Antonio Porras dans les années 70, dont Sanchez Vara et son péon Raul Ramirez gratifièrent le public cérétan il y a deux ans, à la surprise générale et sous un tonnerre d’applaudissements, dans un climat de stupeur proprement jouissif.
De ces choses qui ne servent à rien nous pourrions parler longtemps, mais ce serait faire perdre un temps utile.

Dimanche matin à Céret, un certain nombre d’inutilités se sont déroulées de la façon suivante. « Batanero », n° 27 de Monteviejo, tel un brut non dégorgé, emporta tout sur son passage. Reçu « a porta gayola », il cartonna Maxime Solera d’un colossal tampon en miroir de quoi les protocoles commotions du rugby d’aujourd’hui passent pour des précautions de pucelles…
De cette brève accélération livrée par « Batanero » à sa sortie en piste dépend sans doute beaucoup de la vitesse avec laquelle il est d’ailleurs allé mordre le burladero qui se trouvait sur sa route pour mieux s’y casser la corne droite. Mais après tout, les cornes pétées, escobillées et attention à ne pas employer les mots qui fâchent, c’est devenu courant à Céret.

Le Monteviejo une fois changé, place fut donc faite au sobrero d’Urcola dont certains s’extasient encore plusieurs jours après sans que l’on comprenne vraiment pourquoi. Lorsqu’il sortit en piste, nouvelle « porta gayola ». Accrochage moyen, puis lidia honnête et engagée de Maxime Solera. Vient la mise à mort.
Comme d’autres avant lui, comme Ivan Fandiño à Madrid voici quelques années, Solera y va « a cuerpo limpio », cette façon harakirienne, cette conception appolinarienne de la suerte suprême, ce « coup de dés » que « jamais n’abolira le hasard »… De cette irresponsabilité, de cette folie pure, de cet abandon définitif, il retombe sur ses pieds.

« Porta gayola », « cuerpo limpio » : Il y a dans cette somme d’inconsciences toutes les inutilités de ce délire. Les toreros ont assurément des cases en trop ou des cases en moins. Ils ne sont pas de cet ordinaire que la médiocrité ambiante conjugue sans vergogne avec ce mot d’une vulgarité ultime qu’est l’utilité.

Nicolas Rivière.

  1. El Nuevo Répondre
    L'article est très beau, la dernière phrase est magnifique, une certaine idée de la corrida face à la réalité d 'une époque... En quoi c'est utile ? Entendu tous les jours ad nauseam...

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