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Obri(gado) bravo XXXII


Épisode XXXII : Herdeiros Lopes Branco (Pinto Barreiros majoritairement) – Herdade Vale de Mouro, Coruche.


Écrire l’histoire de la ganadería des Lopes Branco, c’est prendre conscience du chemin ténu sur lequel se construit et surtout se maintient un élevage de toros de lidia. C’est accepter l’idée de la fragilité d’une telle oeuvre, c’est se rendre compte que tout repose sur de petits riens qui deviennent fondamentaux, sur d’anodines décisions, à première vue, qui s’avèrent essentielles pour la survie et l’équilibre de l’oeuvre. Car tout repose sur l’indécis en matière de sélection animale et comme en témoignait Artur Pais do Amaral Lopes Teles Branco, tout repose sur la « subjectivité » des choix du ganadero. Une ganadería de toros bravos n’est pas loin de ressembler à un coup de dés qui « jamais n’abolira le hasard ». Dans les années 1940, peut-être les années 1950, le père d’Artur Pais do Amaral Lopes Teles Branco, João Lopes Teles Branco, acheta un semental au Conde de la Corte. Un tío qui avait chargé 17 fois le cheval, une cascade de bravoure parladeña. Le placement en bourse rêvé, la prise de risque zéro, l’investissement de nabab. Las, les premiers dividendes perçus, en l’occurence des femelles, se résumèrent à une bourse vide et le grand-père des actuels ganaderos décida de liquider ses actifs en éliminant ces jeunes vaches tout en revendant à un négociant de Coimbra les mâles, fils de ce reproducteur traître. Quelques mois plus tard, sa surprise fut grande de recevoir par courrier les remerciements et félicitations du négociant au sujet de ces fils La Corte qui avaient enchanté les publics de trois ou quatre villages en fêtes. 

L’élevage est né officiellement en 1918 mais réellement en 1916 quand un médecin des environs de Coruche, Artur Lopes Branco acheta des vaches et un semental à la viuda de Soler pour les croiser avec du bétail de race portugaise qu’il détenait déjà sur des terres dont il avait certainement héritées et qui faisaient de lui, en sus de sa vocation médicale, un agriculteur. Ce qui est étonnant quand on lit les récits qui content la naissance de cet élevage et dont un des plus intéressants est extrait d’un livre portugais consacré aux ganaderías du Ribatejo, Ribatejo, ás nossas ganadarias, c’est que l’entreprise initiale de ce Lopes Branco n’avait pas une priorité taurine mais bien plus agricole. En effet, désireux d’augmenter la surface de ses terres de labour, le nouveau ganadero avait donc besoin d’un plus grand nombre de bêtes de labour. Il lui fallait plus de boeufs, or, qu’est-ce qu’un boeuf sinon un taureau allégé de ses attributs masculins ? Et Lopes Branco considérait que les taureaux braves castrés étaient bien plus vifs et puissants pour accomplir ces travaux agricoles dans les sols marécageux des abords de la Sorraia. Le premier lot de toiros qui fut lidié en 1919 (à Vendas Novas ou à Vidigal) retrouva dès le lendemain les pâtures de naissance et fut mis au boulot ! À l’heure où le riz est traité depuis des avions qui ressemblent à des mouches, l’on pourrait croire que les sillons tracés par des boeufs dans une terre noire renvoient au Moyen-âge mais c’était il y a cent ans, à peine. La pratique était d’ailleurs répandue, que ce soit au Portugal ou même en Espagne. L’on sait par exemple, grâce aux travaux de René Harrispe, que des Béarnais avaient acquis une réputation d’excellence dans la pratique de la castration des taureaux, même les bravos. Certaines familles des vallées d’Ossau ont même représenté des dynasties qui envoyaient mari et fils courir les sentiers ibériques pour annoncer leur venue parmi les grandes familles exploitantes de toute l’Espagne. Dans son ouvrage, Les Crestadous du Béarn, Harrispe fait revivre l’aventure de « Joseph Bidou d’Ogeu, né en 1911, {qui} partit à l’âge de 9 ans rejoindre son père Etienne, châtreur à Séville. Son grand-père Joseph, mort en 1925, y était hongreur depuis le dernier quart du XIXème siècle. Joseph, son petit-fils vécut 18 ans dans la ville de la Giralda. Quel plaisir de l’écouter parler de la Guerre civile dont il fut un des témoins privilégiés ! Mais il m’a surtout raconté comment Joseph et Etienne partaient châtrer les taureaux dans les célèbrissimes élevages de Miura et de Pablo Romero. Les hongreurs de Séville parcouraient à cheval les immenses pâturages des provinces de Séville, Cordoue et Huelva. Ils avertissaient par courrier de leur venue les grands propriétaires des cortijos, les fermes andalouses. Parfois, ils prenaient aussi le train ou l’autobus pour aller dans ces fermes qu’ils s’étaient attitrées depuis des décennies. C’est ainsi que Joseph, qui passa son bac à Séville, put converser avec des toréadors aussi prestigieux que Belmonte ou Joselito ». 

L’élevage brave des Lopes Branco était donc venu au monde, non par le hasard mais par une porte dérobée de l’afición que seule la volonté de João Lopes Teles Branco parvint à maintenir ouverte à partir de 1920 lorsque son oncle, sans héritier, décéda, lui abandonnant un projet encore à construire de a à z. À l’image de ces boeufs qui avancent dans la boue, le cou plié, le mufle au sol, João Lopes Teles Branco se mit à l’ouvrage en introduisant des reproducteurs dans l’air du temps, c’est-à-dire des Pinto Barreiros ou des Conde de la Corte. En 1947, il décide d’augmenter le nombre de têtes et achète le modique équipage de 180 vaches et un étalon à Pompeu Caldeira. Le sieur Caldeira, qui porte le prénom qui offrit à Georges Clemenceau l’une de ses plus belles sentences assassines, était ganadero depuis 1935, date à laquelle il construisit un élevage avec soixante-dix vaches de la viuda de Soler et un semental croisé de Soler et Pinto Barreiros. Par cet achat conséquent, Lopes Branco réitérait les mêmes choix que son oncle et l’on peut aisément avancer que la ganadería était alors très marquée par l’influence de l’origine Soler même si la majorité des reproducteurs étaient choisis dans le sang Pinto Barreiros, en particulier chez le voisin António Silva qui lui vendit à cette époque (fin des années 1940 – années 1950) ‘Poeta’ qui, comme nombre de ses congénères rimeurs, s’avéra être un énergumène de premier ordre. Ainsi, il se raconte que ce ‘Poeta’, furieux d’avoir été écarté des vaches qui lui étaient destinées et d’avoir été déplacé dans une autre finca à vingt-cinq kilomètres de la Herdade Vale de Mouro, décida de s’échapper et de revenir sur les lieux de ses assauts « romantiques ». Vingt-cinq kilomètres au milieu desquels se trouvait le pueblo de Volta do Vale dont la population eut le temps de se claquemurer fissa fissa en entendant ‘Poeta’ réciter des vers à l’entrée de la rue principale dans un mugissement tellurique dont seul les toros braves ont le secret quand ils veulent se mettre sur la gueule au fond les cercados.

Tout l’édifice mis en place par João Lopes Teles Branco depuis 1920 s’effondra en 1975, un mois avant sa mort en octobre. Ses terres furent confisquées, occupées et avec elles le bétail de lidia qui, une fois de plus, devenait l’incarnation de l’absolue fragilité des choses.

à suivre…

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