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Obri(gado) bravo XXXIII


Épisode XXXIII : Herdeiros Lopes Branco (Pinto Barreiros majoritairement) – Herdade Vale de Mouro, Coruche.


Terrassée, la ganadería de Lopes Branco agonise. Elle n’existe plus dans les faits que grâce à vingt huit vaches que le fils de João Lopes Teles Branco, Artur Pais do Amaral Lopes Teles Branco, arrive à récupérer.  Mais à quelle fin ? En 1978, les terres de la famille sont toujours sous contrôle de la réforme agraire et le ganadero n’a même pas un mâle pour couvrir ce réduit de vaches braves. On dit souvent que les crises extrêmes que l’existence nous impose sont le révélateur du pire et du meilleur de la nature humaine et des comportements sociaux. J’ai surtout le sentiment que les gens continuent de vivre comme ils le peuvent et que les salauds comme les héros sont seulement les périphéries que l’on découvre en premier, comme lorsqu’on arrive dans une ville pour la première fois. Périphéries qui se révèlent manichéennes, réductrices mais qui rassurent le commun pour s’évaluer lui-même : ne pas se trouver dans la catégorie des premiers, rêver d’appartenir à celle des seconds. Toujours est-il qu’en ces temps ténébreux pour les Lopes Branco, c’est un ami du ganadero qui va jouer le rôle du héros, une main tendue dans la tourmente, et pour lequel on gardera une dette à vie. António Paulino da Silva e Melo Lobo da Silveira était éleveur de toros braves lui aussi, et lui aussi à la tête d’un fer historique au Portugal puisque remontant au coeur même du XIXème siècle lorsque son grand-père, en 1873, fonda une ganadería de race portugaise à son nom : Paulinho Cunha e Silva. Proche de la cour des Bragance, royaliste de sang et de coeur, ce Paulino Cunha e Silva originaire d’Alcanhões eut beaucoup de mal à accepter, et le régicide de février 1908, et encore plus la « Révolution du 5 octobre » qui instaurait la République portugaise. Il s’écrit qu’il passa une partie des dernières années de sa vie en prison avant de décéder en octobre 1915. Son élevage fut en grande partie vendu (aux Irmãos Terré) mais la famille conserva quelques bêtes et entreprit une reconstruction de la ganadería sous la direction du petit-fils, António Paulino da Silva e Melo Lobo da Silveira. C’est ainsi qu’elle ressurgit dans le panorama taurin portugais en…1942, soit une trentaine d’années après la mort du fondateur et elle a bien changé puisque le sang est Pinto Barreiros. À la fin des années 1970, quand il sauve les bêtes de Lopes Branco en les accueillant sur une de ses fincas, ses astados sont des Pinto Barreiros via Ribeiro Telles et António Silva. C’est d’ailleurs un reproducteur de Ribeiro Telles qui aura le bonheur de compter fleurette aux vingt huit vaches d’Artur Lopes Branco. À sa suite viendra un António Silva cédé par le ganadero voisin.

Mais Artur Lopes Branco reprend possession de ses biens en 1979 et réinstalle les animaux à Vale de Mouro, aux portes de Coruche. Si l’on en croit son témoignage donné au soir de sa vie, Artur Lopes Branco, même s’il fut bouffé par l’afición, a passé quelques années à supputer la possibilité de continuer ou d’arrêter son office de ganadero. Les coûts, les sacrifices et peut-être l’âge étaient pour beaucoup dans ses tergiversations intérieures qui devaient déchirer sa conscience. Mais, nous l’écrivions, une ganadería n’est pas loin de ressembler à un coup de dés qui « jamais n’abolira le hasard », un coup de bluff au poker parce que, un matin, comme ça, on décide que la vie est folle et qu’il faut la vivre et advienne que pourra. Alors, un matin de 1988, le regard peut-être hypnotisé par un avion fou jouant dans le ciel rouge au-dessus des rizières, Artur Lopes Branco a choisi de poursuivre sa folie en disant merde à la culpabilité, aux doutes, aux journées où rien ne fonctionne, aux toros morts dans la nuit et aux démons de soi-même. Dix-neuf vaches et un reproducteur de Ribeiro Telles ont rejoint la herdade et le reste de la chiche camada. 

Artur Lopes Branco est décédé à la fin de l’année 2018. Deux fils lui succèdent : João Manuel Ramos Teles Branco et Miguel António da Silveira Ramos Teles Branco. Ils conservent le tout tel quel, dans le respect des décisions de leur père qui avait choisi, par exemple, de renforcer l’apport Parladé en intégrant de 2003 à 2007 un étalon de José Luis Vasconcellos e Souza d’Andrade, du pur Atanasio Fernández dans le texte ainsi que dans les pelages blanc et noir de certains cornus de la camada de l’année. João et Miguel ont d’autres vies à mener ici ou à Lisbonne mais ils tiennent pour l’instant à poursuivre ce que leur père avait lui-même sauvé du sien. Les mots employés sont pudiques mais se cachent derrière une affection palpable et un respect non moins louable. 

Sur la remorque arrière du pick-up qui dans quelques minutes fera le deuil d’un essieu, la discussion avec Mariana, la fille de Miguel, va bon train malgré le barrage de la langue. L’espagnol sert de témoin à un dialogue parfois incertain. Elle doit se demander qui sont ces quatre types qui posent toutes ces questions. Ça a l’air de l’amuser à la fin et elle sourit beaucoup, sans artifice, c’est important. Parfois, les mots ne viennent pas. Ils laissent place à la poussière et aux coups de vent. Chacun regarde au loin. Elle plisse les yeux, le recoin de sa bouche se relève d’une façon presqu’imperceptible. On longe une rizière. Au bout du chemin la maison est visible. C’est par là qu’on arrive chez son grand-père. C’est par là qu’elle devait y arriver depuis sa naissance. C’est au bout de ce chemin blanc qu’elle devait sauter de la voiture pour se jeter dans ses bras. Moi, c’est ce que je faisais…

à suivre…

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