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La vie sauvage (II)

Vendredi 22 janvier 2021
Temps de merde absolu. 5° Celsius, 8 sur l’échelle Bacri de l’humeur maussade.
À ce jour, les comptes précis de l’U.V.T.F. n’ont toujours pas été publiés…

La semaine a passé comme la précédente et, j’imagine, comme passera celle qui vient. La routine de l’hiver est pire cette année. Rien ne s’envisage. Ou si peu. L’utilisation d’un vocabulaire guerrier qui accompagne cette crise par la volonté de personnes qui n’ont de la guerre qu’une connaissance scolaire, comme moi, si elle fut indigne à ses débuts, est devenue l’assomoir sous lequel tout un chacun cherche le rayon de lumière prompt à éclairer, même à la manière frugale d’une bougie, une vie sociale cadenassée et pour certains, pour beaucoup, un avenir ou un dès à présent économique et psychologique ténébreux. La météo des derniers jours farde parfaitement la tendance du moment et les nuages lourds et trainants n’accordent au soleil que de rares trouées au creux desquelles il tente de reprendre son souffle comme un homme qui se noie.

Un oiseau vert à tête rouge a fait son apparition dans le jardin l’autre matin. Les chats l’ont épargné ou alors ils dormaient. Je ne l’avais jamais vu, je lui ai trouvé de l’allure, une certaine majesté. Je l’ai observé de derrière la baie vitrée, en buvant mon café. Il s’est envolé sans raison si ce n’est que c’était l’heure pour lui de s’envoler. D’un coup, le campo m’a manqué. Ca devait être un pic-vert j’ai dit pour chasser les images des toros qui déboulaient en formation serrée dans le ciel de mon inconscient. Un Pearl Harbor mélancolique. Il était prévu de revenir chez José Luis Vasconcelos e Sousa d’Andrade. Maintenant que la première rencontre avait eu lieu, après de multiples et vaines tentatives d’approche, il était hors de question de lâcher le bonhomme. Mais il est mort en décembre. En août, il nous avait dit se trouver en forme. Il ne se sentait ni âgé ni fatigué. Non, il insistait, il était en forme. D’après le peu qui en fut écrit, il a fait un malaise cardiaque dans sa très aristocratique herdade Font’Alva de Barbacena puis il est mort, quelques heures plus tard, à l’hôpital d’Elvas. On avait mis les masques en août. Il préférait et nous aussi. Il nous avait dit ne pas trop craindre la Covid car il se sentait en forme, sans gros risque selon lui, mais enfin, tout de même, il était dans la tranche d’âge qui pouvait casquer cher face au virus. Dans le 4×4, il s’était présenté en nous disant qu’on le connaissait comme Vasconcelos e Sousa (nom de sa mère) pour les toros mais Andrade (nom du père) pour les chevaux. D’ailleurs, les toros laissés par son père, les Sommer d’Andrade de ligne Villamarta, ne l’intéressaient que moyennement pour être trop, selon ses dires, « communs » dans le panel des encastes contemporains. Lui, ce qui le branchait, c’étaient ceux de l’autre fer, les Tamarón d’Alves do Rio qu’il conservait intacts parce que l’exercice de maintenir une lignée « pure » était beaucoup plus complexe que le fait de mixer deux sous-rames de Domecq. Il aimait la génétique et les trucs compliqués, du coup il aimait ses Tamarón que José Martinho Alves do Rio avait été le premier à acheter à la marquise du même nom (Tamarón) en 1919, « avant le Conde de la Corte ! ». Ensuite, ils étaient passés entre les mains des Coimbra et lui avait racheté Coimbra. Et puis, dans les années 1950, il avait autorisé un reproducteur d’Atanasio Fernández à culbuter quelques femelles mais c’était tout, ce fut la seule fois qu’un étranger pénétra, et son domaine et ses vaches Tamarón pures.

Le même jour, quelques heures plus tard, nous avions fait la route jusqu’à Los Bolsicos, chez le Conde de la Corte. Sous les feux d’une journée totalitaire de mi-août, à deux titres nobiliaires de l’Andalousie, il s’était agi en fin de compte d’une relecture émue et forcément intimidante de la Genèse car c’était d’ici que notre monde avait accouché de nous. Il n’avait fallu ni sept jours ni de pomme ni d’Adam mais bien un unique troupeau de bétail brave que les fils de la marquise, les Mora Figueroa, animèrent de leur souffle comme Dieu l’avait fait, paraît-il, avec Adam. Entre nous soit dit, nous serions bien emmerdés pour venir au monde, nous Sapiens, si Dieu devait souffler la vie à Adam en 2021 : non port du masque chirurgical, c’est 135 euros de prune et rien ne prouve que Yahvé n’a pas craché à la gueule de son invention après 18h, se plaçant, de fait, sous le coup d’une deuxième contredanse de 135 euros elle aussi. Débuter l’aventure du Monde avec un débit de 270 balles, les remontrances outrées d’infectiologues perroquets et les déboires menstruels de la petite Ève eût pu être considéré comme, au mieux un mauvais départ, au pire un défaut de logistique que nul n’aurait cependant l’idée d’imputer au grand divin. Donc Dieu inventa le monde bien avant la Covid-19 et les Mora Figueroa inventèrent le Tamarón dans le premier quart du XX° siècle. De lui naquit la majorité de ce qui se fait aujourd’hui en toro de lidia. Tamarón, c’est la première mondialisation du toro, c’est l’uniformisation des goûts, l’arrondissement des angles, c’est le temps de la pierre polie alors qu’elle n’était, jusque-là, que taillée. Tamarón, c’est le sacrifice du Vázquez, comme un étranglement qui prend son temps, le supplice d’un siècle, c’est l’exécution des Jijón sous la pancarte « tout doit disparaître », c’est la mise au cachot des Navarre, la garde à vue des Albaserrada, le harcèlement des Santa Coloma. Tamarón c’est le despotisme éclairé d’un sang ; éclairé parce qu’il s’agit de reconnaître qu’à ses débuts, cette variante du Parladé s’avéra excellente, que ce soit chez le Conde de la Corte mais également, on l’a oublié, chez les premiers Domecq et leurs succédanés.

Je n’ai pas revu l’oiseau vert à tête rouge. J’ai cherché, il s’agit d’un pic-vert. J’ai tapé « oiseau vert à tête rouge » dans gougle et c’est un pic-vert qui est apparu comme première occurrence. Comme j’accorde une confiance pleine et entière à ce Gafa américain, je peux écrire que c’était un pic-vert. Il n’est pas encore revenu. Ou je n’étais pas là, ce qui est plus probable. De toute façon, il pleut des cordes à linges aujourd’hui et je pense qu’il restera caché. La semaine a passé comme la précédente. Morante a annoncé qu’il voulait tuer la corrida de Miura à Séville en avril. Je crois que je m’en moque. Plus exactement, je n’ai ressenti aucun soubresaut épidermique, pas même un tressaillement pileux et j’ai pourtant surface à tressaillir. Jean-Pierre Bacri est décédé. Tout le monde y a été du « râleur superbe », de son petit hommage. C’est le jeu de la mort cathodique. Même à Camposyruedos, en interne, une pensée lui fut accordée. -« Jean-Pierre Bacri est mort. Ah ?. Oui je viens de l’apprendre. C’est triste. Oui. Bacri je l’aimais beaucoup : dans Marius et Jeannette je me souviens. Il est au bord de l’eau avec une fille. Il cite une phrase et dit : c’est du Céline. La fille répond : Céline ! Ma Belle-soeur ». Jean-Pierre Bacri n’a pas joué dans Marius et Jeannette mais et cela n’a rien à voir, Line Renaud est vaccinée.

  1. Anne Marie Répondre
    Ouh là, c'est qu'il reprend du poil de la bête ! Ah, quand il vous tient le petit ver ! Merci Laurent. Je m'y perds toujours dans les encastes, mais j'insiste et je travaille dur. Enfin, quel plaisir de retrouver CyR. Petit à petit. L'oiseau fait son nid, et il reviendra un jour dans le jardin. La bise.

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