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La vie sauvage (VI)

Mercredi 31 mars 2021
Temps dégagé. Ciel jaune, les plantes partouzent à ciel ouvert.
Ce soir, nouvelles annonces de Jupiter himself. Psychose

À ce jour, les comptes précis de l’U.V.T.F. n’ont toujours pas été publiés…

Ce matin je suis las. J’ai fait griller du pain la tête dans le cul que j’ai la sensation de traîner comme un boulet dans lequel serait détenue captive toute ma lassitude. Les odeurs du grille-pain et du café ont adouci l’indélicatesse du réveil. J’ai pensé à Pradet qui avait écrit un très beau texte sur le café qui coule, le matin ; ses volutes comme des pensées. Un œil à demi ouvert sur le jardin qui frémit de piaillements comme une eau de source chaude, je fais le point sur la journée qui s’ouvre, inspirant mon café au lait plus que je ne le bois pour adoucir la sensation de chaud. Je suis découragé. Entre deux bouchées, l’esprit à rien finalement ou à mon seul découragement, j’inspecte les premières nouvelles du jour. Personne ne niera qu’il faut faire preuve d’un masochisme crâne pour s’infliger, dès potron-minet, la lecture, même en diagonale, des nouvelles que la valse du monde nous réserve. Certains matins, j’aimerais être exfiltré de cette ronde sans fin puis envoyé sous un arbre centenaire, un très vieux chêne abandonné dans la prairie, j’aimerais m’allonger dans une herbe étoilée de pâquerettes et me contenter d’écouter le vent moelleux faire chalouper les feuilles épaisses mais graciles. Vers le début du film, John Smith traverse, le pas alangui, un champ de blé en observant Pocahontas du coin de l’oeil. Il effleure du bout de ses doigts la pointe des épis qui ondulent comme bercés par la musique de Mozart. C’est magnifique : le monde et son incongruité sont loin, de l’autre côté de l’inconnu qui ne tient qu’à un vent moelleux, un regard amoureux et une musique sacrée.

Mais le monde est là, sur l’écran de mon smartphone, porteur d’un insondable sentiment de dérisoire et de vacuité. Au fond, j’ai conscience qu’écouter le vent sous un chêne centenaire, ça va un moment ; que la contemplation de l’éternité n’a pas vocation à durer. C’est de ça que je me convaincs en terminant mon café au lait. En posant ma tasse dans le lave-vaisselle, je me dis que c’est compliqué la vie, qu’on n’est peut-être pas préparé à ce que tout aille aussi vite, qu’on court tous, certainement sans en prendre pleinement conscience ou alors en toute connaissance de cause et c’est pire si l’on y pense, après d’infimes bribes de temps suspendu, à la recherche de confettis d’éternité, de notes de musique sacrée.

Un soir de mois d’août, c’était à Dax, j’ai regardé monter du ruedo, vers nous tous, un confetti d’éternité. La tauromachie contemporaine parvient quelques rares fois à faire coïncider son projet de fond – critiquable la plupart du temps car il sous-entend, entre autres, l’amoindrissement du toro – et la réalité. C’est rare, c’est extrêmement rare, mais lorsque les chemins de l’idéal et du réel se percutent, le choc esthétique, émotionnel et quasi métaphysique fait toucher du doigt l’absolu. Flaubert a écrit dans ses correspondances que « Dieu fourre son doigt partout ». Loin de moi l’idée saugrenue de disserter sur l’existence de dieu, mais si dieu existe – ou un truc qui s’en approcherait -, il est assuré que de un : dieu est aficionado a los toros, et que de deux, ce soir d’août, à Dax, il fourra si loin son majeur que l’asthénosphère des arènes landaises en frissonna d’un bonheur devenu éruption quand la croûte continentale fut atteinte. Ce soir d’août, à Dax, le maestro Manuel Jesús El Cid et le toro ‘Notario’ de Samuel Flores apportèrent au public la preuve irréfutable que la tauromachie, la vraie, celle qui confronte et unit un grand torero à un grand toro, est une musique divine, une bribe d’éternité. Jean Cau écrivait que pour l’aficionado, aller à une corrida c’est « croire au Père Noël chaque après-midi » mais la métaphore me paraît réductrice. Le Père Noël n’est que le missionnaire du contentement d’une attente, il distribue une sorte de satiété enfantine fondée sur la consommation et la rémunération attendue, espérée, fantasmée par l’enfant d’un comportement opportun. La tauromachie du Cid et de ‘Notario’ s’envisage aux antipodes de tout cela si l’on y réfléchit bien. Je n’attends rien de la tauromachie, ni de la vie, ni de la mort, je ne lui dois rien non plus, en préalable. La tauromachie de ce soir d’août, à Dax, n’est qu’un instant, une infime particule de temps où l’inconscient est devenu conscient. Où chaque chose était à sa place et le ciel tournait à la nuit. Mais c’est atroce la tauromachie, atroce ! La mort est là qui rôde, empuantie du sang et de la merde. La mort est lourde, devant nos yeux, elle nous rappelle à nous. Elle est notre essence. Elle nous dit juste qui nous sommes et parfois qui nous pouvons être.

Ce matin, le monde est monomaniaque. La symphonie de la pandémie est assourdissante. Même en se bouchant les oreilles, il est impossible de s’en extraire, de faire comme si un compositeur sans talent ne l’avait jamais écrite. Je relis des notes, récentes. Rien ne m’inspire. Je n’y vois que foutaises, conneries, vanité, vacuité. Je froisse la feuille blanche. Je la jette. Le jour éclot à peine, je lui laisse une chance. Je note une phrase de Flaubert sur laquelle je tombe en cherchant un truc sur Roth. Va comprendre. Je tapote les derniers mots en m’asseyant sur les chiottes. On peut lire Flaubert partout. J’enregistre en me disant à part moi, car je suis seul avec moi-même dans mes gogues, que je suis en train de faire exactement ce qui m’agace chez certains écrivains : citer les anciens, les figures et les incontournables. En appeler à leur lumière pour justifier ses propres mots comme si des mots écrits par Flaubert, Hugo, Shakespeare, Carver ou Tolstoï ne suintaient que la vérité.  J’ai longtemps cru que Hugo avait écrit ceci : « le pet est un bruit sourd qui vient du fond des tripes merdicales et qui annonce l’arrivée de l’étron » et je me rends compte aujourd’hui que c’est faux alors même que j’ai fait le mariole pendant des années en déclamant cette phrase pour faire comprendre à des interlocuteurs dont l’odorat accusait une sensibilité exacerbée qu’il n’était pas sain de retenir ses pestilences à l’intérieur de soi. C’est Hugo qui a écrit ça je concluais. L’argument massue ! Une très ancienne connaissance disait plus simplement, « tu l’attrapes et tu le peins en bleu ». C’est plus fort.

Passons et parce que ce qu’il écrit correspond bien aux sentiments que ce jour qui éclot fait naître, c’est-à-dire lassitude et découragement, je cite Flaubert et je tire la chasse.

 « La vie est un éternel problème, et l’histoire aussi, et tout. Il s’ajoute sans cesse des chiffres à l’addition. D’une roue qui tourne, comment pouvez-vous compter les rayons ? ».

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