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Arles, Pâques 2021

À l’heure et à l’aune des « mesures sanitaires », le grand frisson de cette Pâques arlésienne aura été la fréquentation du marché du Boulevard des Lices samedi matin, comprimé, bousculé au milieu des gens démasqués sans parler de ceux protégeant exclusivement leur menton. L’on s’habitue à tout paraît-il et même à devenir prématurément un vieux con à en juger par ces lignes liminaires. Il faisait beau à Arles, ce qui est d’ordinaire piégeux quand il s’agit d’aller se frotter à la pierre romaine lors d’une fin d’après-midi d’avril, notamment quand le mistral est de sortie. Il serait temps puisque nous n’avons pas grand-chose à faire d’enquêter sur l’hypothèse qu’à l’heure d’édicter le fameux proverbe météorologique opposant le thermomètre inconstant d’avril à la persistance de celui de mai, son auteur était aficionado et fréquentait les arènes d’Arles.

Et puis ? Et puis rien, le forum abandonné, nettoyé, rincé sans paella à la tonne sur fond de Gipsy King, ni guitare, ni Tambourin barricadé, Van Gogh verrouillé, Gibolin à emporter (ouf…). Arles en mal de gardians, d’aficionados comme de hipster et bobos à photo. Seules quelques « Arlésiennes » – entendez par là Arlésiennes en costume traditionnel – arpentaient les rues, convergeant chez Anne Clergue pour l’exposition de Cécil Ka leur étant consacrée. Tout au fond de la galerie, Carlos Cazalis est affiché et tourne autour de la figure de José Tomas — l’exposition s’intitule « Sangre de reyes« . Le fameux solo nîmois de 2012 évidemment mais également les corridas de Barcelone de 2009.  Car l’on tuait des toros en public dans le comté de Catalogne il y a encore 10 ans, occasionnant de splendides virées automobiles depuis le Sud français : aficionados dans la Babylone moderne, européenne convaincue et vendue à RyanAir, dénaturée jusqu’à l’os par le tourisme de masse, les locations saisonnières, mais toujours forte d’une bonne conscience militante sur les sujets faciles, les toros en tête, évidemment. Réussir à bien manger à Barcelone et aller aux arènes sous la vindicte tonitruante d’une poignée dérisoire d’antis constituait un plaisir de resquilleur, la sensation de laisser le flux d’un torrent glisser sur soi, de siffler les dernières lampées d’une bonne quille.

J’ai déjà dû laisser échapper ça quelque part par le passé mais la mise à mort d’un toro dans une arène confère à un lieu un supplément d’âme. Ce n’est pas la peine d’en discuter, c’est une affirmation. Il existe une frontière approximative sur la Camargue à l’est de laquelle le littoral n’est qu’un bronze-fesses de vieux ou de crétins fêtards sur plages privées et il faut bien attendre la frontière italienne pour qu’au moins la bouffe redonne un peu d’intérêt à la chose balnéaire. Arles sans toros, pour Pâques ? Pas vraiment puisque l’empresa a eu la bonne idée d’annoncer à cette date des cartels plutôt alléchants à l’échelle des pratiques habituelles du lieu. En juin, Morante et Aguado confèreront à Solera une alternative qui tarde depuis un an. Faute du fer de Zahariche  pour la cérémonie de passage prévue cette année, ce seront des Santa Coloma de La Quinta. Si j’étais taquin, je dirais que Morante après s’être annoncé face à des Miura à Séville ne croit guère plus à la célébration de corridas sur les rives du Rhône que sur celles du Guadalquivir. Dimanche : Luque face à des Pedraza de Yeltes, on prend, Salenc aussi. Et puis l’on croise toujours au détour d’une rue un torero du cru voire du siècle dernier, ce qui reste un témoignage de la survie de la chose en ces lieux. Alors, pour croiser, on croise un peu partout, sur les quais de Trinquetaille, le long des Alyscamps, le Pont Van Gogh, la Hauture, la Roquette tout ça quoi, en se disant samedi qu’il y a bien trop de vent pour le toreo, trop de monde à la pâtisserie japonaise, de tissus sur le costume pour permettre aux Arlésiennes de virevolter comme sur les croquis de Léo Lelée, de danseurs de salsa pour se risquer au tango, de temps que tout cela dure pour sentir autre chose que la lassitude. Et les histoires anciennes pour ne pas laisser gagner le silence alors on finit par se dire que si l’on s’est parfois un peu pressé de vivre trop de choses à la fois, il n’est pas superflu d’avoir en ces jours plus de souvenirs que si l’on avait mille ans.

On peut se faire une idée des oeuvres de Carlos Cazalis exposées à Arles jusqu’au 26 juin : Galerie Anne Clergue / « Sangre de reyes » par Carlos Cazalis / 4 Plan de la Cour, 13200 Arles.

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