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Chroniques perdues : Céret 2021

Mi-juillet 2020, à de rares exceptions, nous n’avions pas vu le moindre toro se faire occire à coups d’épée, un an plus tard en revanche, à la faveur de Pâques tardives, de Pentecôtes repoussées, l’aficionado a déjà pu, entre autres, rouler sa bosse de Nîmes à Vic (prouesse d’ubiquité !) et d’Arles à Céret. Pas une ligne des trois premières, c’est désespérant, mais si l’on renonce à Céret, autant fermer boutique tout de suite.
Les corridas catalanes se sont (bien) tenues à la date prévue dans le calendrier historique, malgré les incompréhensions et les rumeurs confondant à l’occasion féria et corrida. Tout comme à Vic une semaine plus tôt, c’est dans une ville paisible que se sont données les courses, à la différence près que la buvette des arènes cérétanes vendait de la bière. Malgré l’absence de fête dans les rues les affluences de ces deux places me parurent infiniment respectables, notamment en regard des entrées nîmoises et arlésiennes. Couteau entre les dents, bave aux lèvres, crème solaire oubliée comme il se doit, le week-end catalan fut comme toujours trop court, trop dense, trop plein d’amis à voir et qu’on ne fait que croiser : on ne se refait pas.

L’ADAC avait décidé de reconduire les cartels de 2020 avec deux événements en particulier : la présentation de Miguel Reta en corrida et le solo de Montero en novillada. Le cycle s’ouvrit donc avec la partie « laboratoire » à laquelle les Cérétans nous ont régulièrement habitués ajoutant une bizarrerie à l’étrangeté : cinq des six toros avaient allègrement dépassé les 6 ans, l’UVTF, Sanchez Vara, Chacon et Pacheco ayant donné leur accord. La corrida se composait des trois fers de la maison : Cesar Reta Azcona (le 2eme), Alba Reta (premier, troisième, sixième) et Reta de Casta Navarra (quatrième et cinquième), ce dernier fer étant celui a priori destiné à la lidia quand les deux premiers visent plutôt les rues. Les 3 numéros impairs permirent d’écouler le stock d’invendus de banderilles noires des dernières temporadas. Public averti, compréhensif et patient, annonces préalables et non superfétatoires au micro, toros rouges en diable, de physiques modernes la plupart (le premier assez vilain, le quatrième Rabioso arborait des cornes en lyre comme dans les contes de l’époque), décastés, fuyards et impropres à la lidia moderne, éprouvants sans exception pour les matadors plus souvent par imprévisibilité que par réelle méchanceté dans l’ensemble mais s’avisant vite. La soucoupe de tasse à café ensablée qu’est le ruedo cérétan vit plusieurs fois entrer le picador de réserve pour tenter de coincer des toros agiles comme des chats sans grand succès. Catalino ouvrit le ban, fit passer mille peines à Sanchez Vara dans la lidia puis à la muleta, finissant par des passes de châtiment d’un autre millénaire et donna le ton de l’après-midi aux cuadrillas.
Avinagrado accepta quelques rencontres cavalières et redonna espoir aux piétons : sensationnel tercio de banderilles plein de pundonor des hommes de Chacon, citant, s’exposant et se la jouant trois fois avant de saluer sous l’ovation. Rien à faire à la muleta en revanche, estocade compliquée, salut. Tendero connut le plaisir des « veuves » et fit passer mille peurs à Pacheco soutenu par ses compagnons de cartel. A noter que la première véronique donna l’illusion rapidement dissipée d’une vague possibilité, la seconde déjà démentant la promesse. Rabioso et ses cornes en lyre décidèrent de s’attaquer au cheval qu’il renversèrent à la première rencontre. Sanchez Vara démontra toute sa volonté de reconquête des coeurs après la déception qu’il nous causa en juin 2007 avec Rabosillo de Palha à Madrid (ce qu’est la rancune) et depuis restent gravés sur ce chemin la larga de rodillas lors de la reprise de la corrida de Valverde à Céret en 2007 qui sembla tuer Espla, la faculté de faire passer de vie à trépas Cazarrata de Saltillo à Las Ventas en 2016 et désormais la lidia de ce quatrième Reta : bien et efficace au capote, il parvint à donner quelques passes (séries ?) à la muleta avant de passer un enfer à la mort du côté du toril. Le public lui intima l’ordre de donner une vuelta al ruedo pour lui exprimer sa gratitude.
Contento parcourut tout le ruedo pour échapper aux deux picadors ainsi qu’aux banderilles noires, il affola littéralement Chacon en début de troisième tiers (nous concédons ici une part de méchanceté à l’animal – euphémisme) qui parvint malgré tout à s’en défaire après quelques essais.
Grandioso, 5 ans seulement, ne semblait pas être le pire du lot mais prit Pacheco qui s’en défit d’une lame entière bien placée et recueillit également une ovation.
Immense dignité des professionnels en piste, quelques accrocs, diverses frayeurs et constante inquiétude.

Anachronisme toujours le dimanche matin, dans une acception différente : novillada de 6 élevages différents (mais non concours) pour un seul novillero : Francisco Montero ou le prix de la parole donnée par l’organisateur. Anachronisme car à l’heure où les spectacles taurins se font rares, en particulier les novilladas, l’on peut déplorer de priver deux novilleros de contrat et de pratique. Anachronisme aussi car Montero n’y est plus, n’y a peut-être jamais été d’ailleurs mais certainement pas à ce point. Aucun sens de la lidia, aucune cohérence au troisième tiers, pas la moindre idée à l’heure de se saisir de la muleta de ce qu’il conviendrait d’en faire, si ce n’est de tenter de donner des passes qui sont autant de chiffonnades infâmes en prenant des poses de matamore affolé, le vent n’arrangeant certes rien. Du peu que l’on pût voir, le Saltillo petit qui ouvrit la matinée fut vite remplacé par un Christophe Yonnet exigeant. Un Concha y Sierra chorreado façon Bengale impressionnant (par l’avant surtout) fit son devoir aux piques. Un Dolores un peu brocho et sans un immense trapio (mais dit-on présent à la pesée) ne donnait pas grand chose, en tout cas pas gratuitement. Un Christophe Yonnet semblait en revanche offrir ses oreilles, de même que le Los Manos qui fermait la course. Le Barcial sorti cinquième, bas et costaud surprit son monde en prenant 4 piques identiques : partant de loin, poussant de tous ses reins, la tête fixe dans le peto avant quatre fois de sortir seul pour filer loin du cheval. Ce comportement déroutant pour l’aficionado lui valut un mouchoir bleu probablement erroné. Résumons-nous et laissons là l’ambulance mitraillée : deux novillos pour couper des oreilles, quatre potentiellement intéressants pour un novillero aux idées claires et à la technique sûre. Immense gâchis ganadero, public vite lassé des simagrées en piste et interdisant justement un tour d’honneur en fin de course. Désagréable comme un masque sous le soleil de juillet dans le sud de la France. Pardonnez le leitmotiv : les courses matinales sont et restent des inepties.

Probablement harassé par les illusions envolées et les difficultés à se ravitailler dans la ville écrasée de chaleur et d’ennui d’un dimanche sans feria, le public sembla assez vite lâcher et se fâcher lors de la corrida de Raso de Portillo, brusque sans dégât au cheval et faisant planer un danger sourd sur les toreros à pied tout l’après-midi. Les toros ne laissèrent aucune possibilité pour s’illustrer en piste, course éminemment ingrate pour les toreros. Robleño, costume bonbon à la menthe et argent et son sabre de bambou passèrent sans peine ni gloire (gentil euphémisme), Gomez del Pilar, porteur des plus grands espoirs après son triomphe vicois et ses bonnes prestations cérétanes s’envoya un lot impossible qui nous priva même de son sourire naturel. Le lot de Maxime Solera offrait probablement un peu plus de possibilités au torero. Celui-ci laissa une assez bonne impression au sixième alors que la course était pliée et la chose entendue. Solera m’avait semblé lui-même en perdition à Dax et Istres en 2020, après quatre toros en 2021 et malgré quelques scories, il parait en mesure de postuler pour le créneau (ingrat et difficile) des corridas toristas. Courage à lui.

Le soleil rasant sur le Vallespir et la Cobla Millenaria justifient à eux seuls un voyage à Céret, comme le vie est lente et comme l’espérance est violente.

photo de Gilles Gal 

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