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Chroniques perdues : Bribes sévillanes

La lune nous inflige parfois des Pâques tardives et des ferias d’avril en mai, les circonstances des deux dernières années ont fait plus fort puisqu’en lieu et place du week-end de la San Miguel, Séville a enfin rouvert la Maestranza pour un cycle de quatorze spectacles à la fin du mois de septembre. Il est aussi illusoire de penser que la vie reprendra son cours « comme avant » que d’imaginer en 1945 reprendre le fil de l’été là où 1939 l’avait laissé : l’Espagne maintient diverses mesures et contraintes « sanitaires » : pas plus de 60% des places à la vente dans les arènes d’Andalousie (et confort inédit pour les courses de grande attente), contrôle éminemment strict des affluences dans les bars et restaurants où la station debout demeurait interdite, rendant compliquée leur fréquentation sans réservation préalable, fermeture des débits de boisson à 2h du matin, heure traditionnelle où les nuits prennent des envols colorés.

Séville avait donc grand faim de toros et l’afición française de toros à Séville à en juger par les conversations aux tendidos du soleil ; de l’ambiance et des cœurs andalous je ne me risquerai pas à dire quoi que ce soit, ayant passé l’essentiel de mon temps entourés d’amis français trop longtemps éloignés. Nous gagnâmes donc les rives du Guadalquivir pour les quatre dernières courses du cycle, à savoir : García Jímenez pour Juli, Manzanares et Ureña ; Juan Pedro pour Morante, Juan Ortega et Roca Rey ; Garcigrande pour Urdiales, Manzanares, Angel Jímenez (remplaçant Aguado opéré du genou) et bien sûr Miura pour Morante, Escribano et Pepe Moral. Sur place, il semblait que la feria pour longue qu’elle fût déjà avait été avare en grands moments à l’exception du capote de Juan Ortega qui faisait sa présentation à Séville cet automne. Passons sur le premier soir où le Juli en roue libre coupa sur un Julipié une oreille aussi émouvante qu’un but de 4-0 en fin de match de tour hivernal de Coupe de France. Il avait été cependant bien à la cape. L’aimable toro fit regretter de ne pas l’avoir vu en d’autres mains. La course de Matilla fut globalement mauvaise au niveau bétail, Manzanita coupa une oreille sur une estocade en recevant légèrement en avant et pour l’ensemble de son œuvre. Ureña étouffa un toro qui galopait aux banderilles puis passa la faena du sixième à lancer la pièce face à un toro dangereux qu’il ne fit rien pour corriger et dont on imagine que le Juli l’aurait dressé en deux séries. 1 oreille chacun et aucun souvenir. Au chapitre des dispensables, Roca Rey figurait vendredi à la suite de Morante et Juan Ortega face à un lot de JuanPedro, emporté par le tsunami de la Puebla, il me coûte d’être en mesure de vous dire quoi que ce soit de la prestation du Péruvien. Juan Ortega toréa de cape et « quita » avec goût sans parvenir à tenir à la muleta les promesses du premier tiers. Samedi, Garcigrande ouvrit la course avec un toro semblant sortir tout droit de chez Cuadri qui renversa trois fois le cheval, le reste du lot fut plus dans la lignée de la maison, à l’exception du sixième dangereux qui mit à l’épreuve le manque de pratique d’Angel Jímenez, distant, qui avait laissé passer au 3 un toro à même de lui faire quitter les arènes sans se salir les zapatillas. Manzanita coupa l’oreille du chouchou, pleine de tendresse et d’amour à son premier avant de sécher au 5, très mobile aux deux premiers tiers auquel il appliqua une lidia impeccable au capote à sa sortie. Il sembla vouloir intervenir dans la brega au deuxième tiers face à un toro plein de bougeotte, partant de loin, avant de congédier sèchement son petit monde et de s’empresser d’étouffer le toro qui ne vit jamais la possibilité d’exprimer de possibles qualités dans la distance : petit désastre alicantin tout de même. La course de Miura me sembla décevante, tant de présentation que de caste, faible parfois (le grandet salinero qui ouvrit s’en fut plusieurs fois au sol, le 4 fut changé par un Virgen Maria) : Pepe Moral n’y était pas et ne montra rien contrairement à Escribano qui partit deux fois attendre le toro à genoux puis mit dans sa poche le 2, très civilisé pour un pensionnaire de Zahariche, auquel il coupa deux oreilles sans vraiment trouver la solution à gauche. Le torero de Gerena est puissant, facile et dépourvu d’art, pour athlétique qu’il soit et à l’aise à l’heure de rester dans les cornes du toro en fin de deuxième tiers, il ne cloua pas une paire dans le berceau avant de carrément sécher dans l’exercice au 5. Le 5, réservé, décasté dangereux lui barra le chemin d’une possible Porte du Prince.

Restent donc, vous l’aurez compris, les deux monstres du week-end dont il faudrait dire beaucoup avec la certitude de trahir quoi qu’il en soit. J’ai pour ma part dépensé trop d’argent, de tonnes de CO2 et trop traîné mon fils dans des lieux d’Espagne dont le reste du pays ne soupçonne même pas l’existence à la suite du cristal d’Arnedo pour ajouter quoi que ce soit le concernant. Adoubé depuis plusieurs années par sa Majesté Pharaonique Curro Romero, Diego Urdiales n’avait pour le moment jamais tout à fait convaincu sur les rives du Guadalquivir, donnant parfois l’impression de paraître trop fragile et précieux en ces lieux. Le mal est réparé après une faena magnifique de classicisme et de métier à ‘Francés’ de Domingo Hernández (aucune nouvelle du consulat pour demander l’interdiction de la tauromachie à Seville), impeccablement paraphée par un coup d’épée sûr. Débutée à droite la faena culmina à gauche sur la première série avant une seconde série naturelle de face où le torero ne parvint pas à lier ni maintenir la qualité entrevue juste avant et revint à droite. Le dernier tiers de la faena face à un toro rendu et exténué fut une démonstration de technique et de recours de bon goût. Epée de mort en main, Urdiales égrena une série de face de naturelles templées et profondes qui acheva de faire chavirer la Maestranza. Faute de toro, je pense que nous étions loin de l’extraordinaire soirée d’octobre 2018 à Madrid face à ‘Huron’, mais c’est en triomphateur et sur le point de se hisser sur les épaules qu’Urdiales coupa la coleta de son banderillero Juan Antonio Tirado à qui il avait brindé la mort de ‘Medallista’, son premier toro.

Le cas Morante mériterait à lui seul un rayon entier de bibliothèque, ne serait-ce que pour définir les suertes déterrées et exécutées avec la facilité d’une chicuelina ressassée. Quel fut l’accueil à son invalide Juan Pedro genoux en terre ? En fouillant dans le « Toreo de Capa » de Robert Ryan, déniché calle Sierpes, il semblerait qu’il s’agissait d’un cambio de rodillas inventé par Fernando el Gallo, matador et père de. Le galleo suivant, bras croisés, décroisés et recroisés pour mettre le toro en suerte, aucune idée… la faena ensuite débutée par de superbes doblones un genou en terre prit des aspects encimista dans les cornes quand le toro n’avait (vraiment) plus rien à donner. Enivré lui-même dans une arène qui bien sûr commençait à fondre sur place, Morante parvenait tout de même à toréer vraiment tirant d’on ne sait où ce toro indigne avant de se faire soulever bêtement. Epée pas tout à fait en place, toro en carton, qu’importe puisque la Maestranza n’était que plomb en fusion brillant de plus de feux qu’un galion remontant le Guadalquivir. Pour dangereux que cela soit, à l’instar du José Tomas alchimiste de la fin de la décennie 2000, Morante est un artiste à ce point renversant qu’il s’affranchit de la nécessité d’un toro, renverse tout sur son passage et tira des larmes à mon voisin de grada, Jorge, ayant délaissé l’entretien de ses panneaux solaires à Tudela l’espace d’un week-end pour venir voir toréer l’inqualifiable de la Puebla en son fief. Tout cela était naturellement exagéré et propre à nous faire croire que cet effort au sixième toro de sa feria permettait d’acheter la paix pour la corrida de Miura.

Dimanche, le fer de Zahariche sortit donc un immense cheval salinero pour ouvrir l’après-midi. Faible certes mais impressionnant, semblant regarder les banderilleros dans les yeux au dessus du burladero. Morante ne sembla pas faire grand cas du fer ni de la taille du machin, proposant notamment une magnifique mise en suerte par chicuelinas marchées, un quite par véroniques et demie puis de nombreux détails à la muleta avant de mal tuer. Le 4 fut remplacé par un Virgen Maria brusque de charge dont il ne put jamais prendre la mesure à gauche et qui accrocha souvent la muleta. Entame à nouveau extraordinaire de torería par doblones puis passes par le haut, séries inégales mais magnifiques l’une à droite tendant dans la main gauche et le dos un sombrero a ala ancha envoyé sur le sable par un admirateur en milieu de faena. Oeuvre décousue, imparfaite, accrochée mais toujours éclatante de torería, ponctuée par un recibir qui tomba bas, très bas. Chevauchant sa propre légende, le torero de la Puebla pria le public de ne pas demander de trophée, expliquant plus tard dans les colonnes de l’ABC qu’il ne voulait pas couper d’oreille à un toro qui ne fût pas un Miura, notamment après une estocade ratée. Sans pareil !

 

Photographie : une fois n’est pas coutume sur CamposyRuedos, un García Jímenez sur le sable de Séville, septembre 2021 @ camposyruedos.com / Frédéric Bartholin

  1. Ludovic Pautier Répondre
    La suerte de capa de bras croisés et recroisées que j'ai aperçu "en la red" ne serait elle pas donnée "por tijeras" ? Morante découpant le motif en patron. Ou l'inverse.

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