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Carretera y manta

En français, ça ne donne rien. « La route et la couverture », un an d’abonnement à Coudre magasine, à la rigueur. En castillan, c’est une autre paire de manche. Carretera y manta, c’est l’assonance du a, du début de tout donc, du possible à l’infini. Il n’y a rien d’exagéré à l’écrire si l’on prend en considération la signification de cette expression fantasmagorique. Carretera y manta, c’est le départ imminent, le partir dans l’instant, la nécessité organique, un rien compulsive, de foutre le camp comme nous prend l’envie de pisser ou d’écrire. C’est le besoin d’un ailleurs qui se dit Espagne et se traduit Toros. Sur la couverture du livre de Jacques Durand, c’est ça. Un paysage gris d’herbes mal décoiffées par de blancs nuages étirés, le tout, en haut, en bas, aspiré par les cornes rondes d’un toro d’Osborne qui semble se lever pour nous toiser. Parce que c’est un roi. On le voit à peine mais c’est vers lui qu’on prend la route. On n’entend pas les recommandations, « couvre-toi », « fais bien attention », « ne prends pas froid » qui nous poursuivent en vain. La manta est l’assurance de ne pas devenir fou, de rester en vie même. Il faut se protéger de soi-même, c’est pour ça. 

Carretera y manta est l’expression idoine pour donner vie aux toros qui enfoncent leurs cornes dans nos têtes, l’hiver, le printemps et l’automne. Pierre Veilletet a écrit dans Le peuple du toro, chapitre À la bonne place, que « dès la fin de l’hiver, un désir d’Espagne, de choses espagnoles, se fait pressant. Jusqu’alors, on patientait sous les plaids, dans la verdure, l’expectative laineuse, et grâce à quelques autres expédients anglo-saxons. Un jour vient où le vent du sud apporte de ce côté-ci des montagnes un souffle radouci. C’est le signe attendu… la Meseta a cessé de craquer sous le gel. Les cieux d’acier rosissent. Les cigognes hantent à nouveau les clochers de Castille et, plus au sud, chez nous, reviennent les fleurs des chemins, le sabbat des oiseaux dans les cours d’orangers. Un frémissement déjà, doit raviver les lauriers roses sur les remparts de Séville. Il faut partir. ». Il faut partir. Du verbe falloir et non pas avoir envie, nécessité organique, comme l’envie de pisser ou d’écrire. 

À creuser un peu la question, il existe un autre sens attribué à l’expression carretera y manta. Elle serait la désignation péjorative voire discriminatoire de quelqu’un qu’on ne saque pas et qu’on voudrait voir partir loin de son propre espace vital. Pour résumer, elle serait l’équivalent du « fous le camp » français lancé à la trogne de celui qu’on ne veut plus regarder. C’est un peu ce que sont devenus les aficionados. Ces pauvres hères barbares, cruels, nourris de sang et de violence qui font tache dans le paysage bien poli de l’hypocrisie contemporaine. Point n’est besoin de disserter sur cet état de fait, les petites hontes touchent même le coeur de ce monde riquiqui. Ici on bâche les toros morts, là on s’émeut qu’on puisse les photographier. Alors on se dit que, foutre dieu, il faut bien du courage pour continuer d’écrire les toros une fois par semaine comme le fait Jacques Durand. Il en faut aussi, et plus que ça, à celui — Bruno Doan et son équipe — qui le publie chaque jeudi et qui vient de fabriquer un livre magnifique compilant les dernières chroniques de Durand sous le titre Carretera y manta, y adjoignant, avec goût et élégance — comme toujours chez Atelier Baie —, les contributions de dizaines de passionnés sur qui bientôt la société crachera. La couverture a peut-être ce double sens. Un toro qui se lève et qui nous toise parce que c’est un toro de lidia, un roi ou un paysage trop sage, trop propre, qui l’avale. On a connu des rois décapités.

Que l’on soit celui qui part comme lui prend l’envie de pisser ou d’écrire ou ce même devenu un paria, il faut lire Durand et plonger dans ce Carretera y manta. En soi, c’est déjà prendre la route, les jolis mots en guise de manta.

Durand, Jacques. Carretera y manta, Atelier Baie, Nîmes, 2022.


On vous dirait bien qu’un livre sert toujours à caler une table, à allumer un feu, perdu dans une forêt humide alors que tombe la nuit et rôdent les loups : on l’a déjà fait à l’époque où l’on vous vantait les mérites et recours insoupçonnés des éditions imprimées des différents numéros de Campos y Ruedos.

On vous expliquerait bien que le papier est introuvable, parce que le carton pour les pizzas, parce que le carton d’emballage en tout genre, parce que l’exode urbain vers le télétravail à la campagne implique des déménagements. En cherchant bien on doit même pouvoir vous expliquer que c’est la faute de Poutine, de Trump, de la guerre commerciale, de la sécheresse, du réchauffement ou de Bolsonaro

On vous suggérerait bien d’anticiper Noël (pour une fois) avec de beaux cadeaux intelligents, on pourrait prétendre que les Toros, le Nîmes Olympique et Claude Viallat sont désormais au programme scolaire et que quatre semaines après la rentrée, vous êtes à la bourre.

C’est pas faute d’inspiration pour trouver des arguments plus ou moins fondés, voire raconter n’importe quoi et essayer d’écrire ce qu’on imagine vouloir être lu pour essayer de vous convaincre, mais c’est bien justement parce qu’existent des lecteurs différents que la survie d’éditeurs différents est importante.

Bref, parce que 3 numéros de Campos y Ruedos, parce que Bastonito et Rincón méritaient une impression de qualité ainsi que Fernando Pereira Palha, parce que Atelier Baie a tendu la main à Jacques Durand quand Libération a décidé que la tauromachie tâchait les mains, parce que Bernadette Lafont était rudement bandante en plus d’être Nîmoise et parce que tant de choses restent à écrire et publier pour toucher ne serait-ce que quelques lecteurs, nous ne saurions trop vous recommander de filer un coup de pouce à notre éditeur Atelier Baie qui passe par un moment difficile financièrement. Bruno Doan vous explique tout avec sérieux et en détails ici :

 » Aux amis, lecteurs et clients de l’Atelier Baie,

L’Atelier Baie traverse une période de très grandes difficultés financières. Pour pouvoir conserver le cap et continuer l’aventure, j’ai aujourd’hui besoin de vous.
Plus que jamais, j’entends assumer mon métier d’éditeur et continuer à réaliser des ouvrages de qualité.
Quel que soit le montant de votre soutien, par un achat ou une participation si vous préférez faire un don, votre geste est vital pour la pérennité de l’Atelier Baie.
Pour toute question, achat en nombre… ou autre, n’hésitez pas à me contacter : brunodoan@atelierbaie.fr Je vous remercie par avance pour votre écoute attentive et lecture bienveillante « .

Bien sincèrement
Bruno Doan

Une cagnotte en ligne a été créée pour l’occasion : cagnotte Atelier Baie

On rappelle aussi, qu’outre l’achat de livres, il est possible de s’abonner à la Page Taurine de Jacques Durand.

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