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Madrid et ses absents

Tout cela est passionnant, et encore passionné, probablement moins qu’auparavant mais passionné tout de même et c’est pour cela que les absences me pèsent. Les absences ? Ceux qui ne viennent plus depuis longtemps ou ceux qui rangent désormais le public madrilène au côté de celui de Séville ; ce qui conduit à rayer d’un trait de plume les rendez-vous venteños d’un coup sec, comme une gifle du revers de la main : un droitier partirait du coin en bas à gauche pour remonter en un dixième de seconde à l’angle opposé. Dans les bars en revanche, même si la tradition semble se perdre, ou sur les kiosques de reventa, chaque date du cartel n’est pas rayée mais barrée, d’un geste qu’on devine soigneux, droit, partant des coins supérieurs, ce n’est pas un trait mais une croix, comme celle de Saint André : la feria avance, et l’affiche est un calendrier de l’Avent que l’on coche jour après jour. Quelle aventure de suivre sur place une feria ! Une longue… au-delà de la semaine, on ne connaît pas cela en France, sans course aux heures indues du matin, mais chaque soir après le boulot, la sieste ou le déjeuner arrosé. C’est un sacré compás à trouver, une véritable discipline, pensez donc : lever avant sept heures, on embauche disons à huit heures trente, on sort vers six heures de l’après-midi pour la course de sept heures. Sortie autour de 21h30: que reste-t-il des heures imparties ? Cette vie est une abnégation. Mettez quelqu’un d’autre dans l’équation : cela tient du contorsionnisme, du quai d’Orsay et de l’X-Mines pour parvenir à résoudre le machin.

Mais voici que je m’égare en mai pour évoquer les absences automnales, celles que l’on souhaite encore ponctuelles qui donnent une saveur particulière à l’attente des corridas : on espère le grand moment bien sûr mais aussi donner tort à qui vous savez et l’envie de reparaître parce que sans tauromachie la vie est une erreur. Si personne ne l’a encore écrit, cela manquait. Le pire en « toros » est d’avoir raison à la maison, le pire est ce SMS de Thierry dimanche soir après les Fuente Ymbro : « Très peu de chose. Toros décevants pour diverses raisons et toreros ennuyeux (pour rester poli) au superlatif ». Il aurait dû caricaturer ça à coup d’inclusion de « stop » pour faire télégramme, rétro, car là c’est décidément trop dur. Alors à l’heure d’évoquer ces trois après-midis madrilènes, tâchons tout de même d’arranger un peu les choses. Alors… Valdellan ? Bon… a priori seize novillos sont passés sous les fourches caudines et vétérinaires pour un bilan sans appel, quatre ont eu la moyenne et le privilège de sortir en piste et, pour rapiécer le tout, foin de Santa Coloma, deux (quatre en fait) Domecq-machin je ne sais quoi de Lopez Gibaja (Rebajas ?). Devant : Yon Lamothe (présentation) et Diego Garcia ne firent pas valoir grand chose, le bétail était chico, plutôt faible et pas vraiment épargné par le fer et l’imprécision au premier tiers. Comme ce sont des novilleros et que l’idée reste de filer des regrets à ceux qui… nous resterons discrets sur les prestations. Le Français tua à 18h19 le premier novillo et nous lui sommes gré de cette version accélérée (certes il fut lent au 4). Quant à Diego Garcia, j’ai beau chercher je ne vois pas comment trouver un bon mot pour qualifier son style d’insulaire et c’est bien dommage : la vérité est que face au 5 (Lopez Machin), il laissa passer très au large un novillo qui sans être exceptionnel avait des choses à donner. Les seuls regrets que les absents peuvent nourrir concernent Jorge Martinez qui avait laissé à des témoins de San Isidro et de Bilbao de bonnes impressions. Disons qu’après le passage de ses deux collègues, il donna l’impression que Rosalia venait de débarquer dans une soirée karaoké de restaurant chinois en périphérie. Personnalité, tempérament, style et technique, le gamin a beaucoup, sauf la mort à l’heure de la donner, ce qui l’empêcha de couper une oreille au 3. Lopez-mes genoux en 6, remplacé par un autre truc du même fer, à son tour substitué par un cousin que Jorge « para » les uns après les autres. Le 6-ter étant à peu près aussi abominable que le reste, il n’en permit pas moins au novillero de Murcia de donner une leçon de professionnalisme et de dignité. Son apoderado est Ruiz Manuel que certains ont tant aimé et qui arbore désormais une coupe de cheveux de chanteur de rockabilly (précision gratuite).

El Pilar vendredi ? Alors : bon lot dit-on à la San I. cette année et légitimes espoirs face à un cartel artiste (non pas vraiment en fait vu les saisons des protagonistes). Toros infâmes, présentation de troisième sous-préfecture, faiblesse et absence de caste. Urdiales, rien ; pas de matériau certes, mais cela reste cohérent avec le reste de la saison. Les deux Sévillans un peu choyés ? Aguado laissa probablement passer un 3 qui avait un peu à donner à un technicien hors pair mais l’impeccable Andalou est trop peu pourvu en la matière et la chose en resta à quelques joliesses décousues et peu engagées (Oui, pas mal à la cape, mais accompagnant plus qu’autre chose). Juan Ortega rendit fou quelques présents et fut à deux doigts de couper une oreille probablement exagérée en pareil endroit. Magnifique même si pas tout à fait propre au capote au 2, il bénéficia d’un toro « mexicain » (ces merdes qui chargent en marchant sur lesquels les éleveurs et tout le reste se branlent aujourd’hui) au 5 qui lui donna l’occasion d’initier une faena par doblones toreros, fermes et suaves, et de distiller tout au long de son labeur des touches et des arômes de son art précieux. Mais restons sérieux face à l’absence totale de présence de son adversaire et les difficultés à maintenir une oeuvre cohérente et constante. Les Sévillans nous ont appris ce jour que le placement juste qui permet la maîtrise de la liaison constitue un artisanat injustement méprisé. Le geste taurin de ce vendredi 7 restera la création du « quite au gobelet d’argent » par Pablo Aguado au 3è toro :  départ précipité, banderillero mal embarqué, collègues au quite mal placés, le Pilar poursuivant le subalterne vers ces barrières trop loin : Aguado, gobelet d’argent en main, partit pour un raset a cuerpo limpio fort bienvenu et gagna le burladero opposé, verre bien droit. Vu du 7, nous affirmerons que pas une goutte ne fut versée dans l’exercice.

L’on pourrait reprocher la même chose à Angel Tellez samedi, à l’heure de s’envoyer le Puerto de San Lorenzo le plus propice à la lidia du lot. Oui mais voilà : dans « lidia » il y a lidia… et l’exposition de la panse et de la muleta font certes preuve de sincérité mais ne tiennent pas lieu de lidia au sens strict du terme. Langosto collait une peu, certes, mais demandait plus ou au moins exigeait mieux : entame de loin à gauche avortée, séries chaotiques et accrochées d’où sortaient parfois un muletazo isolé au hasard d’un placement adéquat. Manoletinas en torchon et naufrage à l’épée. Le Tolédan donna l’impression plutôt l’impression d’un novillero dépassé que du triomphateur en titre. L’autre toro vaguement praticable de la course avait ouvert celle-ci et permit de savourer la toreria toute madrilène d’Uceda Leal, impeccable dans une superbe de vieil hidalgo. Bien à la cape à l’accueil, à la réponse au quite de Morante par chicuelinas et demie et dans une faena mesurée de quatre courtes séries seulement plus une entame en marchant par les cornes et quelques aidées genou en terre avant une demie tombée efficace. La pétition ne permit qu’une vuelta qui m’a semblé juste. Le toro était très vite allé a menos et le matador n’avait pas mis plus que sa part, Noblesse oblige. Morante avait donc donné un quite à la veronique au premier avant de se taper deux boeufs qu’il expédia avec plus ou moins d’empressement : il débuta la faena avec l’épée de mort au 2 et celle du 5 par un hommage extraordinaire à Antonio Bienvenida en tête d’affiche de cette feria automnale : pase cambiado a muleta plegada, celle-là même que le centenaire de l’année réalisa trois fois de suite à un novillo en 1941 à Madrid et qui faillit lui coûter la vie une fois matador à Barcelone. Il la tenait de son Pape Noir de père qui la tenait lui même de Gordito, dont le premier Bienvenida était le banderillero. Mais la course s’était achevée à ce détail historique près à la mort du 3. Lente déliquescence sur la fin.

Bref, si vous n’avez perdu que cela, sachez au moins que vous nous avez manqué.

 

 

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