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Une chaise verte sous les bérets

Certaines gamines du village avaient chaussé de hautes paires d’escarpins, revêtu des tailleurs en flanelle aux couleurs claires sans doute empruntés à leurs cousines voire à leurs mères. Elles attendaient en grappe, sur leurs pilotis incommodes fléchissant dans le gravier et la terre battue, que passent sous la grande porte des petites arènes de Mugron Hadrien Lucq et sa cuadrilla. La novillada non piquée venait à peine de s’achever et la matinée avec. Les téléphones étaient fin prêts. On avait vérifié deux ou trois fois que le mode portrait était bien activé. Ça aurait été vraiment fatch de la rater celle-là, car ce n’est pas tous les lundis de Pâques qu’un jeune Mugronnais se présente pour la première fois de sa vie en habit de lumière, même en non-piquée, dans la Monumental de son patelin, et que des filles de son âge, échassières d’un jour dans une partie des Landes où ce n’est pas le plus utile, retardent exprès l’apéro des parents parce qu’il faut à tout prix immortaliser la scène sous différents angles. Il faudra peut-être recadrer un peu, mettre des filtres et pourquoi pas un ou deux effets, mais le lendemain matin à l’heure de la pause, dans la cour d’un bahut de Dax ou de Mont-de-Marsan, on exhibera fièrement les clichés de soi aux côtés de l’aspirant maestro. , regarde !

Le vrai truc néanmoins, ce qui aurait foutu à coup sûr le seum au reste de la bande, eût été de se faire photographier non seulement avec le novillero mais aussi avec la chaise vert pastel désormais à moitié déglinguée lui ayant servi de trône pour débuter une faena appliquée mais brouillonne, en somme assez pucelle et c’est tout à fait normal. Une chaise donc. Oui. Pour un coup du pendule assis, de profil, au centre de la piste. D’entrée, comme ça ? Allons bon. Moues dubitatives sous les bérets alignés dans les gradins. N’y-a-t-il pas mieux à faire ? Si. Evidemment. Aller aux morilles par exemple, ou se promener sur les bords de l’Adour. Tout sauf offrir la version cul-de-jatte de cette vieille monotonie castellienne aujourd’hui séchée comme une vieille corde après avoir tourné sans relâche dans toutes les arènes du monde pendant près de vingt ans. 

Oui, mais non. D’abord parce qu’avec les manières précautionneuses qu’Hadrien Lucq a de s’asseoir, façon grande époque des tertulias madrilènes du Café du Lyon d’Or ou du Pombo, il y a déjà des facéties d’esthètes à ne pas négliger. Ensuite, tout simplement, parce que c’est comme ça qu’on les aime les arpètes : culottés, maladroits peut-être, mais débordants d’enthousiasme. Vas-y mon grand ! Fais-le ! Le taurillon d’Alma Serena s’élance des planches ou presque, l’aiguille du pendule passe d’un côté, puis de l’autre, et tout, d’un seul coup, la chaise, son locataire, l’étoffe de tissu rouge, volent dans le bruit sourd d’un gros coup de tampon. Oh ! Ah ! Je vous l’avais dit. Ça se lamente un peu sous les bérets mais on rit surtout sous cape. Le carton est sans conséquence. No pasa nada. Un péon replie ce qu’il reste de chaise et Hadrien Lucq ramasse ses effets personnels avant de se mettre au travail en tendant l’oreille aux conseils que Richard Milian lui donne depuis la contre-piste. 

Dans son habit blanc, pour sa première, le gamin coupe au final une oreille. Midi approche. Dans un instant les cloches de l’église vont couvrir le chant des hirondelles et, au dernier rang, certains tournent déjà le dos à la piste pour apostropher ceux qui à l’extérieur des arènes commencent à sortir le vin de Chalosse et les fritons. Il reste encore un novillo, et le temps qu’il sorte demeure en mémoire ce coup de la chaise. On songe à Jean-Pierre Darracq. Cela ne lui aurait pas plu, et l’on imagine sans avoir trop d’efforts à consentir l’imparable mais juste et argumentée volée de bois vert que le « Tío Pepe » aurait réservé dans les colonnes de Toros à ce geste pueblerino. 

Hadrien Lucq repasse dans le callejón, d’où ressort à son tour Andoni Verdejo, le second novillero de la matinée, dans la cape duquel s’engouffre alors un magnifique utrero, ojo de perdíz, bocidorado et surtout, chorreado en verdugo, c’est-à-dire avec ses longues coulures noires sur une robe roux foncé. Par sa présentation, son jeu, sa fougue, en un mot cette présence qui donne envie d’en revoir et pourquoi pas bientôt sous la pique, le bicho d’Alma Serena, lui aussi local de l’étape, achève son passage parmi les vivants sur une vuelta. On accroche ensuite l’une des ses pattes à une chaîne hissée par un Fenwick qui recule en faisant bip…bip…bip…, puis l’on charge l’affaire à l’arrière de la camionnette réfrigérée d’un boucher du coin qui tout à l’heure redescendra pépère vers Hagetmau. 

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