logo

La caste sans cesse abreuvée

Le lundi 15 mai 1989, dans les colonnes de Libération, à propos des toros de Guardiola affrontés la veille dans les arènes de Nîmes par Christian Montcouquiol Nimeño II, seul ou presque et sous un Mistral tourbillonnant, Jacques Durand avait évoqué « un après-midi de chasseurs de toreros, de cargos noirs qui tanguaient en piste, bourrés de fureur, de locomotives qui tractaient sur trente mètres  les picadors et leurs chevaux, de taureaux en acier qui réfléchissaient avant de fondre sur les capes et les muletas »…

Cette image des « cargos noirs », reprise quelques années plus tard comme titre dans un recueil illustré par Hippolyte Romain, est une réminiscence qui se nourrit de presque tous les expédients taurins, qui entre sans frapper dans la mémoire, y compris dans celle de ceux qui n’étaient pas à Nîmes en 1989, et vous prend comme ça, sur les gradins de telle ou telle arène, devant telle ou telle course, à tel ou tel moment.

Elle remonte de temps en temps à la surface par la combinaison d’un toro massif et hors de poids, balançant des reins dans le virage abrupt d’une demi-véronique. À d’autres occasions, la métaphore accoste par la couleur et le swing du mouvement, par des toros noirs, ou listón negro, qui tanguent, vont partout et au cheval, s’y emploient, même haut et dans le désordre, y retournent, ne s’arrêtent pas ou presque jamais. Cette philosophie intime de la longueur d’ondes coule depuis longtemps dans le sang des toros de Baltasar Ibán, et les novillos venus du Cortijo Wellington pour sortir à Mugron avaient tous au fond d’eux le rythme inlassable de cette caisse claire. 

Pas des cargos ceux-là, en dépit d’une présentation de haute tenue, avec les trois derniers supérieurs aux autres et l’ultime quasiment « fait » comme un cuatreño. Pas des cargos non, et pas non plus « ces pirates pleins de rancune » comme les Guardiola porte-containers de 1989 décrit par Jacques Durand. Quel rapport alors ? Finalement peut-être aucun, sinon la caste ou l’indéfinissable idée que l’on s’en fait. La caste comme sans cesse abreuvée, d’un novillo à l’autre, d’un tiers à l’autre, et la sensation veineuse de cette vibration ininterrompue sous un printanier couchant de Chalosse. Cela suffit pour une image. 

Laisser un commentaire

*

captcha *